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Chroniques d'un vieux bougon
12 février 2019

Le prix d'un sourire.

st_valentin

Un groupe de choucas m’accompagne en grand ramage jusqu’à la place de l’église et s’installe dans le clocher. Un silence inhabituel règne par contre dans la boulangerie. Nul client, nul curieux de passage ni chaland, pas même de boulangère ! La jeune employée, tout juste vingt ans, nez pointu et cheveux raides, relève la tête et m’adresse le bonjour d’un sourire timide avant de pousser un petit cri et de fixer son doigt où perle une goutte de sang. Vous vous êtes fait mal ? C’est les roses ! Devant elle trône en effet un gros bouquet de roses dans un vase de faïence. La tenancière apparaît alors derrière son comptoir. Je vous en mets une douzaine avec la baguette ?

À la radio, Denisa Kerschova a effectivement lancé son Allegretto en rappelant à ses auditeurs qu’il ne leur reste que trois jours avant la Saint Valentin. Trois petits jours pour penser à se munir d’un gros bouquet de roses, rouges bien évidemment, afin de ne pas rentrer à la maison les mains vides. En bonne commerçante, la maîtresse des lieux, elle, n’a pas oublié. Je donne mon accord pour la baguette mais pour une rose seulement. Pour mademoiselle, dis-je en désignant la blessée ! La conseillère municipale de la liste écologique fait alors son entrée, aperçoit les roses et lâche dans un soupir désabusé : ce n’est pas très bon pour la planète, ça ! Elle n’a pas tort.

Ces magnifiques roses rouges, blanches ou jaunes proviennent probablement d’Afrique de l’Est ou d’Amérique latine. Elles ont donc voyagé par avion avant d’atterrir à Amsterdam puis d’être acheminée jusqu’à nos étals par camions entiers. Quelle belle bouffée de CO2 lâchée dans l’atmosphère ! Les Pays-Bas produisent par ailleurs eux aussi leur contingent de fleurs. Comme nous sommes en hiver, elles sont cultivées sous serre chauffées et éclairées artificiellement. Chacune d’entre elles pèserait, à elle seule, 2,9kg de CO2, soit l’équivalent de 15 km parcourus en voiture.

Sous les serres kényanes, chaque bouton exige pour éclore plus de dix litres d’eau. Une eau puisée à raison de 16 millions de mètres cube par an directement dans le lac Naivasha, provoquant ainsi une baisse significative de son niveau et obérant non seulement la pêche qui nourrit une grande partie de la population locale mais aussi l’irrigation des riches terres de la région et les possibilités de cultures destinées à l’alimentation.

Faut-il ajouter la consommation électrique nécessaire à leur réfrigération afin qu’elles paraissent dans leur plus belle robe sur la table du salon ? Nous tiendrons pour négligeable le coût de fabrication de cette électricité dans des centrales à charbon, gaz ou pétrole prélevés sur des stocks que la Terre a mis des milliards d’années à constituer. Mais ici comme en Équateur, autre grand pays producteur où la région de Cayambe est presque totalement mobilisée par cette culture intensive, le plastique des bâches est roi. Son règne se propage ensuite dans les emballages indispensables pour les transports jusqu’aux "artistiques" présentations, essentielles pour séduire le consommateur. Soit environ 400 millions de tonnes de déchets peu ou pas recyclables.

Mais madame est toute émue à la vue du magnifique bouquet que son amoureux dresse devant elle d’une main attendrie. Les yeux brillants d’émotion, elle y plonge son nez délicat et en hume goulument le parfum. Elle envoie ainsi dans ses poumons une bonne provision de pesticides. Ce qu’elle tient entre ses doigts tremblants en aura bénéficié jusqu’à quinze fois plus à l’hectare qu’un champ de choux brocolis ou de laitues romaines. Il faut toutefois être honnête. Les milliers d’employés qui arrosent, traitent et récoltent ces productions auront inhalé une bien plus grande quantité qu’elle de ces néonicotinoïdes qui brûlent la peau et les yeux, affectent les abeilles sur des régions entières, polluent l’air et les rivières et, globalement, affaiblissent la biodiversité.

« Arrêtez de faire les rabat-joie ! »  me tance la boulangère dans tous ses états. Nous nous taison bien sûr mais je n’en pense pas moins. Un sourire vaut mille fois plus que ces roses industrielles et ne coûte rien, ni en monnaie sonnante et trébuchante ni en dommages pour la planète. Il peut même être renouvelé plusieurs fois par jour !

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Commentaires
L
Le rire est le contraire des pleurs, Le sourire lui, n'a pas de contraire.
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B
Oui,enfin le « coup » du sourire c est un peu peu pour fêter la st Valentin.<br /> <br /> Sourire plusieurs fois chaque jour à ceux que nous côtoyons me parait la normalité. Un mot gentil, un geste d affection aussi.<br /> <br /> Mais pour la st Valentin une sortie, un livre, un cd, un colifichet, un « « trois fois rien emballé dans papier de soie » peuvent se trouver à peu de frais, et une très jolie table, un repas ,même avec des plats modestes, mais en ayant soigné son apparence pour l autre c est déjà bien<br /> <br /> <br /> <br /> A bientot monsieur, pour des messages toujours lus avec assiduité
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M
On ne pense pas à tout ça. C'est vrai que je n'achète jamais de fleurs, j'en ai dans mon jardin.
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L
Tout devient compliqué...Je suis découragé...Demain je sème les pois chiche.
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