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Chroniques d'un vieux bougon
19 février 2019

Grands voyageurs.

voyages

Comme souvent, le train de 9h04 a pris du retard. Personne bien sûr n’explique pourquoi le train de 9h04 a pris du retard. Peut-être même personne ne sait-il pourquoi le train de 9h04 a pris du retard. À 9h14, l’annonce est enfin faite que le train de 9h04 aura 30 minutes de retard ! Comme il m'importe peu de poser le pied sur le quai de la gare d’Austerlitz à 12h51 plutôt qu’à 12h21, je n'ai aucune raison d’ajouter mes récriminations à celles qui agitent les autres candidats au voyage qui patientent, comme moi, dans les courants d’air qui balaient le quai n°8. Demeure malgré tout la désagréable impression d’être compté pour quantité négligeable par la grande machinerie qui régit le transport ferroviaire !

Mais la place qui m’est réservée est toujours disponible. Un jeune homme a déjà "pris ses aises" sur la place voisine. Je le contrarie probablement avec ma prétention à faire valoir mes droits au détriment de son sac à dos, de sa bouteille d’eau et de papiers gras ayant manifestement contenu un en-cas préparé par une mère aimante et dont il ne reste, pour l’heure, que quelques miettes. Lui-même, tout aussi précautionneux, conserve avec prudence une casquette publicitaire soigneusement vissée sur sa tignasse ébouriffée comme s’il craignait que le ciel ne lui tombe sur la tête. Nous parvenons à un modus vivendi de bon aloi quant aux limites de nos territoires respectifs et je m’installe. Le train s’ébranle dans un brouhaha bon enfant. Je me laisse emporter dans une douce rêverie scandée par les staccatos des boggies sur les rails.

Charles Baudelaire écrivait que les seuls vrais voyageurs sont ceux qui partent pour partir. Je ne suis donc qu’un voyageur de pacotille. De ceux qui ne quittent un endroit que pour aller à un autre. De ceux même qui abandonnent presque à regret le havre de leur courtil en espérant y revenir sans tarder. Que s’y passera-t-il en effet pendant mon absence ? Une bourrasque inopinée ne risque-t-elle pas de briser des branches de mes sapins ? Ai-je bien fermé le volet de la porte de la cuisine ? Ai-je bien coupé le gaz et éteint la lumière ?  Comment César s’en sortira-t-il sans son esclave à sa disposition pour lui servir ses croquettes ? Mais je ne vais tout de même pas ressasser ces misérables alarmes pendant deux jours ! Je m’abandonne donc au spectacle du paysage qui défile de l’autre côté de la vitre.

L’on voit mal hélas ce que l’on ne comprend pas et l’on remarque moins encore ce que l’on croit comprendre. Je ne distingue guère ici ou là qu’un bouquet de brume alanguis au long d’un ruisseau, un troupeau de vaches indifférentes paissant dans un pré, un paysan sur son tracteur, un camion de livraison disparaissant au loin. Mais l’instant est fugace et s’efface déjà au profit de quelques arbres à l’horizon, d’une haie de noisetiers qui masque la vue, d’un tunnel qui plonge dans l’obscurité, de l’entrée d’un village ou d’un hameau. Les maisons n’offrent alors qu’une façade grise et une arrière-cour en désordre où s’entasse pêle-mêle tout ce qui ne peut, décemment, s’exposer à la vue des vrais visiteurs.

Devant la pauvreté et l’évanescence de ce décor, le mieux est encore de me projeter vers la raison de cette expédition, le concert de la mezzo-soprano Magdalena Kožená au Théâtre des Champs-Élysées pour admirer, entre autres, ses vocalises éperdues dans l’aria "Parto, parto" de la Clémence de Titus du divin Mozart. Tout le reste ne sera donc que billevesées.

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Commentaires
L
Metin Arditi dépeint si bien la musique dans ses romans (Prince d'orchestre, Pension Marguerite, Victoria Hall...) que celle-ci nous permet de "voler" pour aller à sa rencontre. Et puis Mozart, on ne peut s'en lasser, tout comme Bach...
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A
Que votre jeunesse vous garde encore longtemps le goût d'aller vénérer dans un de ses temples le divin Mozart ainsi que quelques autres de ses compères du Panthéon de la Musique !
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M
Je ne vais plus à Paris. La gare est à 20km et je dois laisser ma voiture. Il y a un passage souterrain pour se rendre au quai, alors qu'une voie jamais utilisée passe devant le bâtiment. Le métro étant trop fatigant pour moi, je fais la queue pour avoir un taxi.Le pire est pour revenir. Il faut trouver une station ou avoir un téléphone portable et je ne comprends rien à leurs bafouillages.<br /> <br /> Mes anciennes camarades d'école ne me verront plus.
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L
Dans les voyages j'aime quand je rentre à la maison...
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L
Partir, c'est laisser ses chats et autres amis...
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