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Chroniques d'un vieux bougon
24 décembre 2019

Béatrice Rana, Maurice Ravel et Igor Stravinsky

Rana

Je ferme les volets des fenêtres donnant sur la terrasse au moment où de gros nuages noirs s’engouffrent dans la vallée. Bientôt, le ciel disparaîtra et les ombres des fayards qui bordent mon courtil ne dessineront plus guère que de vagues silhouettes absorbées par la nuit. Qu’importe ! Une belle flambée de châtaignier crépite dans l’âtre et ébauche sur les murs des chevauchées fantastiques dignes des charges héroïques des cavaliers d’Alexandre le Grand se lançant à conquête de la Perse.

Mon chat César déambule à pas lourds de la cuisine au salon et de la salle à manger au bureau, humant avec méfiance les fumets qui envahissent la maison tout entière. De la cocotte de fonte établie à feu doux sur la cuisinière s’élèvent en effet de fauves arômes de sanglier, d’oignons, d’ails et d’herbes aromatiques. Nous recevons, ce soir, mes voisins agriculteurs, Hélène et Sébastien, venus écouter une magicienne du piano dans des œuvres de Maurice Ravel et d’Igor Stravinsky, Béatrice Rana.

La jeune italienne ne sera hélas pas parmi nous. Elle a autre chose à faire que de s’égarer au fond d’une vallée perdue au cœur des Monts ; elle se doit à la promotion de son enregistrement effectué en juin dernier dans les studios Teidex de Berlin. Mais comme d’habitude, Hélène poussera la porte les bras chargés d’un dessert de sa fabrication suivie d’un Sébastien goguenard armé de sa bouteille de Morgon. Congratulations de bon aloi, échanges de nouvelles à propos des enfants, des petits-enfants, des habitants du village, du conseil municipal, des amis, des parents, récriminations bougonnes contre la pluie, certes indispensable mais tout de même excessive, aimables compliments pour les bonnes odeurs qui nous environnent. Partages simples et convenus s’il en est mais partages chaleureux qui chassent au loin tous autres soucis. Et si on passait à table ?

Sur la chaîne stéréo, les Miroirs du compositeur du fameux Boléro égrènent des miracles d’interprétation. L’effervescence des Noctuelles explose en crescendos impatients et tout en contrastes, chargés tour à tour de résonnances fulgurantes et d’infinies délicatesses. Les Oiseaux tristes s’envolent en une alchimiesonore vers des nuées inaccessibles. La subtilité des phrasés d’Une barque sur la mer évoque avec réalisme la vulnérabilité et la solitude de l’esquif aux prises avec les éléments déchaînés.  L’élégante Alborada del gracioso sonne avec l’éclat changeant de la lumière sur les vagues battant les rives d’une crique sauvage. La Vallée des cloches se déploie sous nos yeux, mystérieuse et secrète, presque cabalistique, lorsqu’un coup de vent plus fort que les autres s’engouffre dans la cheminée et disperse des étincelles jusque dans les recoins sombres.

La tempête de l’autre jour m’a emporté le toit d’un abri à moutons, remarque Sébastien ! C’est qu’en réalité, nous n’écoutons pas vraiment la pianiste qui déroule presque sans nous une musique pourtant sublime. Nous nous écoutons discourir sur l’actualité si chaotique et peuplée d’interrogations, sur les colères qui grondent un peu partout et en particulier chez nous, sur les médias déconcertants d’improvisations, d’inexactitudes et d’à-peu-près. Nous évoquons surtout les livres qui viennent de paraître, ceux que nous avons lus et ceux que nous lirons en nous promettant d’en parler encore.

Mais avec L’Oiseau de feu dans une transcription de Guido Agosti, Igor Stravinsky nous emporte dans une féérique orgie de timbres. La Berceuse des trois mouvements de Petrouchka vogue sous les doigts de la pianiste avec mélancolie en un rêve qui ne finirait jamais. Et la tragi-comique Commedia dell’arte fait littéralement vivre son pantin avec une belle fantaisieà la fois rigoureuse et légère.

Nous nous quitterons après le café et le cognac avec de nouvelles perspectives sur l’avenir du futur car la musique est un viatique qui ouvre sur le monde, aide à dépasser les péripéties du quotidien et à l’appréhender dans sa cohérence et sa continuité.

(Suivre régulièrement les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)

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Commentaires
L
Cher Vieux Bougon, le viatique culturel n'est-il pas celui qui devrait armer toute décision politique ? Peut-être devriez-vous le proposer à notre gouvernement, car vous savez trouver les mots justes... Bonnes fêtes de la saint Sylvestre
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L
Joyeux Noël à Toutes et tous ! Par Toutatis !
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H
Bonsoir.<br /> <br /> Joyeux Noël à vous et votre famille, comme à vos p^roches et vos amis.<br /> <br /> Bonne soirée et bon réveillon, à plus, respectueusement..Denis.
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