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Chroniques d'un vieux bougon
5 mai 2020

La revanche des campagnes.

la_revanche

Dans les débuts de ma carrière professionnelle (sic !), je visitais les écoles du nord du département. J’arrive ainsi un matin neigeux de fin décembre dans un petit village à classe unique avec son préau et son tas de bûches bien alignées, son poêle en fonte au milieu des tables des élèves avec les trois ou quatre gamelles gardées à tiédir des enfants qui habitent trop loin pour rentrer à la maison pour le repas de midi et le maître, l’un des rares descendants sans doute des fameux hussards de la République, calligraphiant à la craie en haut du tableau noir la devise du jour et sa morale. Les enfants se lèvent comme un seul homme à mon entrée et récitent avec enthousiasme un "bonjour monsieur" retentissant, sauf l’un d’eux qui s’exclame d’une petite voix flûtée Ah le Père Noël !

Le calme revenu, nous discutons de langue française, de mots, de grammaire parfois, de récits, de contes et d’histoires fantastiques. Mon intervention était prévue durer une heure. Elle se clôturera, alors que les cloches de l’église sonnent l’angélus de midi, par la visite du maire de la commune qui nous invite à partager sa table. Repas campagnard simple et goûtu qui s’achève par une requête : le rectorat menace de fermer notre école, c’est catastrophique ! Si vous pouviez… Mon interlocuteur au rectorat me confirmera en m’expliquant qu’il n’a pas les moyens de maintenir une école avec seulement six élèves dont quatre de la même famille, que leurs chances seront bien meilleures au milieu d’autres enfants, etc…etc…

Aujourd’hui, grâce à l’autoroute qui réduit les distances, le village est presque devenu un bourg avec ses quatre classes bourdonnantes d’enfants et le maire nouvellement élu en a promis l’ouverture d’une cinquième. Hélas, regrette l’ancien maire aujourd’hui parvenu à un âge bien avancé, le village n’est plus le même ; les gens partent le matin et rentrent le soir et ne savent que réclamer des éclairages publics, des chemins goudronnés et une baisse des impôts ; il n’y avait même pas assez de candidats aux élections municipales pour constituer une liste d’opposition ! En réalité, conclut-il, ce ne sont pas des gens d’ici, ce sont des gens de la ville !

La campagne se dépeuplait, la voici qui s’anime et revit. Prendrait-elle sa revanche sur une cité autrefois si attrayante et aujourd’hui devenue repoussante ? Bétonnée et asphaltée à souhait, elle tente malgré tout aujourd’hui de se reverdir, comme pour se donner des airs de vacances en souvenir des jours bénis de l’enfance où on envoyait les gamins chez leurs grands-parents. Mais la campagne n’est plus ce qu’elle était. Si elle fut hier une genèse, il faut à présent la réinventer. Alors on lui forge un passé mythique fait de folklore, de fausses traditions, de coutumes depuis longtemps tombées en désuétude ; on tente même de la restaurer "à l’authentique", l’expression la plus à la mode de nos jours qui ne désigne en réalité que des nostalgies. Et la première d’entre elles, la liberté.

Partis à la ville pour "faire des études" et se préparer un avenir sûr, les quarantenaires d’aujourd’hui n’ont pas connu les journées harassantes du paysan. La campagne correspond pour eux aux jours clairs et ensoleillés des vacances lorsqu’ils pouvaient gambader joyeusement en tous lieux sans autre soucis que de jouir d’une liberté inconnue dans les rues polluées, bruyantes et encombrées de la ville. Dans les années soixante, obtenir enfin pour leurs parents une place en usine et un logement en HLM représentait une promotion face à l’inconfort des maisons campagnardes et aux aléas des emplois. Bâtir son pavillon à la campagne au milieu d’une verdure fut-elle domestiquée et goudronnée devient pour leurs enfants non seulement un retour aux origines mais la réalisation d’un rêve et parfois même d’une vie.

Mais qu’en pensent leurs propres rejetons "biberonnés" depuis l’enfance aux flux incessants d’une réalité virtuelle ? Pour Max Weber et Georges Duby, la ville "rendait libre" en ce sens qu’elle permettait d’échapper aux contraintes des sociétés rurales héritées de l’Histoire, le servage, l’aristocratie et l’attachement à la glèbe. La campagne d’aujourd’hui permettrait d’échapper aux lourdeurs citadines, métro-boulot-dodo, pollutions, transports... Comment la vivront demain les adolescents de ces néoruraux ? L’avenir du futur les verra-t-il de nouveau reprendre la route vers la Cité ? À moins que la Cité n’ait, d’ici là, définitivement étendu ses tentacules jusque dans les moindres recoins de la ruralité !

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Commentaires
C
J'ai été touché par l'illustration. A peu de choses près (il me semble que nous avions des tables plus "modernes") cette salle de classe ressemble à celle que j'ai connue dans les années 50 : poêle, encriers, tableau noir, et même, avant l'ouverture d'une cantine, les élèves venant des écarts mangeant à la gamelle. De plus je connais un peu Montrol-Sénard...
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L
La ville à la campagne, plus de béton, moins de pesticides...
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