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Chroniques d'un vieux bougon
29 septembre 2020

Le joueur de flûte et le financier

flutieux

La municipalité avait informé la population par voie de presse, courrier électronique et dépliant déposé dans les boites aux lettres : un troubadour moderne accompagné de son ménestrel dirait sur le parvis de l’église les contes et légendes qui hantaient jadis nos territoires. Intrigué autant que séduit, j’abandonnai ma tanière et me retrouvai sur la place au milieu d’une cinquantaine de villageois au museau masqué comme moi du chiffon covidesque.

L’éclairage communal aidé de deux puissants projecteurs illumine les deux compères qui montent hardiment les trois marches de pierre. Le silence se fait. Vêtu tel un doge tout droit sorti d’une pièce de Shakespeare, le premier homme s’incline jusqu’au sol qu’il balaie généreusement de la plume de son chapeau. Un délicieux frisson parcours déjà l’assistance qui applaudit avec chaleur.  Après maintes gesticulations de prestidigitateur, l’autre glisse son flûtiau entre ses lèvres et une alerte ritournelle s’élève avec grâce jusqu’aux voûtes célestes

Sa composition n’atteint certes pas les sommets mozartiens mais il sait jouer de l’improvisation entre les airs populaires que l’on fredonnait encore dans les campagnes au temps des bals de la Saint-Jean et les savantes créations folkloristes des Béla Bartók, Borodine ou Frédéric Chopin. En dépit des allures de benêt qu’il affiche pour amuser le public, le bougre connait le répertoire. Hélas, comme s’il craignait de voir l’assistance se mêler bientôt dans des cavalcades dignes d’une toile de Brueghel, il abandonne bientôt les rythmes joyeux de la gigue pour une mélopée aux chatoiements désenchantés qui conduisent notre diseur à s’emparer de la parole. Oyez, oyez, braves gens …

Et de narrer les exploits de la bourgmestre qui voulait débarrasser sa ville de la vermine qui grouillait dans ses rues, ses jardins publics et jusque dans les chambres de bonnes de ses immeubles de caractère. Elle créa pour ce faire une commission qui nomma un président qui recruta une secrétaire qui convoqua des experts avertis qui remirent un rapport détaillé. On admira le travail accompli, on s’ébaudit des propositions, on évalua leur coût et on enterra le tout. Et les rats en leur trou continuèrent à rire à ventre rebondi. Un an passa et la gent trotte-menu multiplia. La guilde des marchands s’alarma : le commerce souffre !  La première magistrate soupira et assigna derechef le président qui se présenta adossé d’un énergumène à chausses pointues et bonnet à clochettes : pour mille écus, gente dame, j’exaucerai vos vœux. Marché conclu !

Instruits, le syndicat des dératiseurs organisa aussitôt un vaste mouvement de grève et les verts écologistes soucieux de la biodiversité manifestèrent de Bastille à Nation. L’homme extirpa néanmoins un chalumeau de sa manche, y souffla un air étrange venu d’ailleurs et la racaille des basses fosses de le suivre empressée jusqu’à la fameuse rivière qui serpente à travers le royaume jusqu’aux bocages normands. Le peuple ravi dansa la carmagnole mais dans son bureau juché au sommet de la plus haute tour du quartier des Affaires, le Grand Argentier des Retraites réfléchissait. Amenez-moi ce flutieux, ordonna-t-il ! Ses sbires s’exécutèrent. Comment t’appelles-tu ? Covid, monseigneur, dix-neuvième du nom ! Voici ce que tu vas faire. Et notre comptable de murmurer ses ordres à l’oreille du gaillard. Vous voulez, précisa celui-ci, que je vous délivre des septuagénaires, octogénaires et autres nonagénaires qui obèrent votre budget ? L’autre acquiesça, impatient. 

Qu’à cela ne tienne, lança le magicien dans un grand éclat de rire, dansez donc maintenant ! Et jaillissant de son pipeau un sortilège diabolique s’empara du Pays jusqu'aux provinces les plus reculées à la vitesse d’une pandémie…

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Commentaires
A
Le conte revisité n'a jamais aussi bien collé à notre époque ! Mais comment pourrait-on en vouloir à notre belle jeunesse dépossédée de tous ses privilèges ? Elle souhaite, à plus ou moins haute voix, qu'on lui fasse un peu de place en la débarrassant de ces baby-boomers éhontés qui s'accrochent de toutes leurs griffes à une vie qui les a déjà si bien gâtés ... ce n'est que justice, il me semble, même si je sais faire partie de la prochaine charrette !
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L
Cher Vieux Bougon, le pipeau-covid peut-il éradiquer la plaie de notre temps, à savoir l'ultralibéralisme ?😷
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M
Formidable cette interprétation.
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L
C'est d'actualité !
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