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Chroniques d'un vieux bougon
17 novembre 2020

L'implacable absurdité du dérisoire.

absurde_derisoire

10heures et demie, le ventre mou de la matinée. J’avais allumé mon ordinateur en écoutant  d’une oreille distraite Jean-Baptiste Urbain poursuivre ses entretiens sur France Musique, relu ce que j’avais écrit la veille, supprimé quelques adjectifs, élagué quelques adverbes, taillé dans un paragraphe, bousculé un autre, écarté un troisième, éteint la radio pour mettre fin au bavardage des duettistes Rodolphe et Émilie et posé sur la chaîne stéréo le disque des concertos pour piano de Mozart interprétés par Francesco Piemontesi et le Scottish Chamber Orchestra dirigé par Andrew Manze.

Hélas, accaparé par les mots qui défilent sur mon écran, j’ignore rapidement la musique qui s’est éteinte depuis longtemps lorsque j’émerge de nouveau à la vie commune. Alexandre Vialatte prétendait qu’écrire une chronique est d’une grande facilité ; il suffirait d’avoir la première et la dernière phrase et de combler l’intervalle par les digressions qui passent par la tête. Ce n’est pas tout à fait faux à ceci près qu’il faut ensuite largement biffer, raturer, sabrer, effacer, en un mot amender et recommencer.

Je m’étais ainsi demandé, à la suite des Monty Python, à quelle vitesse vole une hirondelle transportant une noix de coco. Mon intention n’était pas tant de connaître la vélocité de ce petit passereau habitué de nos granges et de nos cheminées lorsqu’il émigre de nos cieux tempérés jusqu’en Afrique du Sud que de déboucher sur l’absurdité des choses. Car quoi de plus absurde que l’idée même d’une hirondelle transportant une noix de coco ? Comment pourrait-elle se l’être procurée en nos contrées de châtaigniers, de chênes et de fayards ? Peut-être aurait-elle pu, à la rigueur, l’apercevoir au cours de son voyage au pied de l’un des innombrables cocotiers qui poussent sur les trottoirs de Séville ou de Málaga par exemple. Peut-être qu’intriguée, se serait-elle exceptionnellement posée sur une banche tout en surveillant la marche des rares passants au museau masqué. Peut-être que soucieuse soudain de rapporter quelque cadeau à ses congénères demeurées à Johannesburg, Pretoria ou Le Cap, aurait-elle entrepris de l’emporter sous son aile. Mais c’est fort peu probable au regard de l’énorme différence de poids entre elles, 18 grammes pour l’une et 1,5 kilogramme pour l’autre. J’abandonne donc cette digression qui ne mène nulle part, mets mon ordinateur en veille et pars faire, une fois de plus, le tour de mon courtil.

Comme d’habitude en cette saison, le ciel est couvert de nuages bas et quelques gouttes de pluie perlent même de temps à autre à moins qu’elles ne tombent des dernières feuilles désespérément accrochées à leur branche. C’est à ce moment que je remarque que celles de la glycine ont atteint une belle teinte jaune ; elles ne tarderont pas, elles aussi, à joncher la pelouse. Or, bien que coupées régulièrement afin de favoriser la floraison, de longues pousses particulièrement volubiles jaillissent malgré tout d’un peu partout à la recherche d’un éventuel support qui les conforterait dans leur ascension. Et l’histoire du haricot magique que j’ai si souvent racontée à mon ancienne petite voisine Anaïs, me revient en mémoire. Car quoi de plus absurde que ce conte populaire anglais ? Comment un haricot pourrait-il grimper jusqu’au ciel et conduire par une large route jusqu’à la maison d’un ogre en possession de plusieurs sacs de pièces d’or, d’une oie qui pondrait des œufs en or et d’une harpe elle aussi en or qui chanterait d’une voix humaine ?  D’où viendrait cet ogre ? D’où lui viendrait cet or ? À moins bien sûr que l’absurdité ne réside dans la morale qui prétend que s’enrichir apporte le bonheur comme le croient encore les pauvres !

Michel Serres remarquait que l’absurde et le dérisoire constituent souvent l’essentiel de nos vies. Les péripéties covidesques que nous vivons actuellement semblent lui donner raison. Mais que viendrait faire la raison dans cette histoire sans queue ni tête ?

Faute de réponse, j’éteins mon ordinateur, m’assois dans mon fauteuil devant la cheminée où crépite une bûche de châtaignier et écoute religieusement le fameux allegro maestoso du concerto en do majeur n°25 de Mozart qui aurait inspiré le compositeur de la Marseillaise.

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Commentaires
L
Les Anglais -même les brexités- aussi 🌞
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M
je crois que les allemands appellent la France Absurland.
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L
C'est trop compliqué pour moi ce matin, bonne journée.
Répondre
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