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Chroniques d'un vieux bougon
30 mars 2021

La forêt, l'arbre et l'humilité.

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La forêt, l'arbre et l'humilité.

À la radio, Jean-Baptiste Urbain se résout à abandonner l’antenne aux duettistes Rodolphe et Émilie lorsque l’on toque à ma porte. Je me précipite avec une pointe d’inquiétude, que se passe-t-il donc de si urgent ? Un grand gaillard se dresse devant moi. Bonjour ! Son accent tudesque m’intrigue aussitôt. Je suis Ernst et voici… et apparaît derrière lui un petit bout de femme au nez pointu et aux yeux rieurs. Je suis Bernadette de l’ONF. Et je me souviens qu’il y a quelques mois en effet, la mairie m’avait annoncé leur venue pour que je les guide vers le bois qui s’étend derrière chez moi.

Ernst est un expert dépêché par l’alsacienne forêt d’Haguenau pour prodiguer ses conseils en matière de reboisement après le passage des bûcherons et de leurs engins mécanisés. Comprenez, Monsieur, on peut laisser la nature aller comme elle veut mais elle a tendance à faire n’importe quoi. Depuis des milliers d’années, poursuit Bernadette, elle est habituée à voir les hommes semer la perturbation dans ses frondaisons et souvent ces perturbations la stimulent et l’aident à se renouveler. Là où le sol a été râclé et raboté, elle envoie des pins, là où le taillis s’est installé, elle laisse les feuillus prendre le pouvoir. Mais tout cela souvent dans le plus grand désordre et au risque parfois de se perdre elle-même.

Et avec le réchauffement climatique, ajoute-t-elle tandis que nous descendons le chemin qui longe mon courtil, la problématique se multiplie. Depuis plus de dix mille ans par exemple, les ormes peuplaient notre région au point de lui donner son nom mais la graphiose les a décimés. Les scolytes qui la provoquent se révèlent en général utiles pour digérer les bois morts et inoffensifs sur les arbres sains. Mais avec les canicules et les sécheresses à répétition, ces derniers sont affaiblis et résistent difficilement aux attaques ; ils flétrissent et ils meurent. Les hêtres, eux, sont plus robustes mais les vieux sont fragilisés et les jeunes n’atteindront plus une taille adulte.

En réalité, les bûcherons et la forêt n’ont pas la même notion du temps. Selon Ernst, le chêne qui marque l’entrée de mon courtil tiendrait ses deux cents ans au moins soit six ou sept générations de ces êtres humains de plus en plus oublieux du passé. Le gland qui lui a donné naissance aurait germé à l’époque de Goethe, Victor Hugo, Schubert ou Liszt. Autant dire, la préhistoire ! Mon chêne a appris à se défendre contre cent maladies, mille insectes ravageurs et maintes tempêtes du siècle, mais comment résister à une tronçonneuse qui veut faire de l’argent tout de suite ? Un forestier, de nos jours, admet à contre cœur qu’il ne connaîtra pas de retour sur investissement lorsqu’il replante mais il se console en espérant que ses enfants en toucheront la monnaie sonnante et trébuchante. Comment pourrait-il se projeter sur un siècle sinon deux ?

Agrippé au versant ouest des Monts et ainsi exposé de plein fouet aux rafales venues de l’océan, le bois s’étale devant nous aussi pelé et misérable que les flancs d’un chien galeux. Ronces, bruyères et genêts tanguent comme barque à la dérive et çà et là s’agitent quelques baliveaux tordus comme des sémaphores qui appelleraient à l’aide. Regardez les châtaigniers, s’indigne Ernst, les ruraux, autrefois, les coupaient à un bras du sol pour donner une chance aux repousses de gagner en vigueur. Mais vos "ratiboiseurs", eux, ont tout coupé à ras et les repousses sont trop fragiles pour résister, elles cassent et elles tombent ! Vilde Arbeit !

Autour d’un bon café, mes visiteurs promettent de revenir pour établir un diagnostic afin d’envisager de réelles perspectives à long terme. Car les arbres, les buissons et jusqu’au plus simple brin d’herbe, tous nous sont d’une importance vitale : ils participent par le processus de la photosynthèse à éliminer l’excès du terrible CO2 qui réchauffe l’atmosphère et perturbe le climat et ils rejettent de l’oxygène si indispensable à notre survie. Ce qui revient à dire, conclut Ernst dans un grand éclat de rire, que nous respirons leurs déjections !

Voilà qui devrait nous inciter à un peu plus d’humilité à leur égard et peut-être même à un peu plus de respect. (Être un chêne, Laurent Tillon, Actes Sud)

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Commentaires
L
Etre solide comme un chêne disait-on jadis ! La résilience de la nature sera-t-elle suffisante devant l'appétit financier de nos dirigeants ?
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L
Chez nous ils dévastent les pins et importe de l'huile de palme pour que Total fassent tourner son usine de biocarburant de La Mède.
Répondre
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