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Chroniques d'un vieux bougon
6 avril 2021

Terrestres atterrés.

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Terrestres attérrés.

Le car de transport scolaire nous a laissés sur l’étroite aire de stationnement en contre-bas et nous empruntons le chemin cahoteux qui grimpe jusqu’au point de vue qui servit de cadre au récit publié jadis dans mon recueil La Table de pierre et rapportant une vieille histoire remontant à l’âge de bronze. Je dois la raconter, "en vrai" comme ils disent, aux enfants de la classe de CE2 du village ainsi qu’à leur institutrice et une parente d’élève qui les accompagnent.

Nous arrivons bientôt au sommet couronné par un amas rocheux oublié là par l’érosion et qui semble presque égratigner les nuages. Essoufflés mais regorgeant encore d’une belle énergie, tous se précipitent avec des cris de conquérants pour en explorer les mystères et montrer leur hardiesse et leur habileté. Après quelques exhortations plus ou moins impérieuses, chacun s’assoit malgré tout sagement, sauf bien sûr une petite blondinette juchée en équilibre instable sur le bloc de granit le plus élevé : c’est quoi, çà, maîtresse ? questionne-t-elle en désignant l’horizon. La ligne de crête des Monts clôt en effet le panorama qui se déploie sous nos yeux comme pour nous rappeler que si nos fronts ambitionnent d’effleurer les nuées, nos pieds, eux, foulent encore et toujours la glaise. Car, comme l’écrit si bien Bruno Latour, nous ne sommes en réalité que des terrestres et qui plus est, aujourd’hui, des terrestres atterrés !

Nous pouvions hier admirer sans arrière-pensée la forêt qui commence à se vêtir d’une belle robe au vert acidulé, les ruisseaux qui serpentent paresseusement sur le flanc des collines, les étangs courts sur vague, comme écrit André Duprat, où se reflète ce matin un ciel morose et gris, les essarts de plus en plus encombrés de broussailles et les toits éparts de fermes peu à peu abandonnés au bout de leur sentier paysan. Nous nous interrogeons désormais sur leur pérennité.

Des armées de bûcherons ne risquent-elles pas demain d’abattre ces chênes, fayards et châtaigniers souvent centenaires pour construire des maisons écologiques ? Leurs feuilles qui absorbent si bien nos excédents de gaz à effet de serre et nous fournissent en oxygène ne se verront-elles pas rongées par la pollution et les innombrables pesticides que nous épandons sans compter ? Notre présence même au milieu des buissons qui nous entourent ne perturbera-t-elle la vie des papillons, rouges-gorges et coquelicots qui devraient pulluler à la reverdie, portant ainsi préjudice à la biodiversité si indispensable à notre survie ? Quant à regagner l’école avec l’autocar, il vaut mieux n’y plus penser à cause des particules délétères qu’il diffuse généreusement jusque dans nos poumons et du pétrole dont les réserves s’épuisent mais qu’il consomme gaillardement et en toute insouciance !

Attentifs de notre alimentation, nous redoutions déjà les excès de sucres qui favorisent les graisses désobligeantes de la ceinture abdominale, les acides gras trans qui conduisent au diabète, le glutamate monosodique de sodium qui provoque plus sûrement que le coup de foudre amoureux les palpitations cardiaques, l’aspartame qui  affecte le système nerveux, l’acésulfame potassium qui cause les cancers, les antioxydants qui entraînent les nausées, les polysorbates qui réduisent la fertilité masculine et les sulfites qui engendrent les allergies, sans compter les nitrates de sodium, les agents anti-mousse, les anti-agglomérants et autres émulsifiants. S’y ajoutent dorénavant les périls climatiques.

Il y a deux mille ans et selon Jules César, les Gaulois n’avaient qu’une crainte, que le ciel ne leur tombe sur la tête. Mille peurs se sont ajoutées depuis, les disettes, les guerres, les épidémies. Celle, covidesque, que nous subissons aujourd’hui apporte son lot de larmes, d’anxiétés et de morts. Sans doute ne fera-t-elle guère demain qu’une anecdote de plus dans les livres d’Histoire ! Mais demeureront celles qui perturbent nos assiettes et les alternances de pluies et de beau temps parce qu’elles assombriront de plus en plus notre quotidien et pour longtemps encore. (Où suis-je ? Bruno Latour, Éditions de la Découverte/ les empêcheurs de penser en rond et La Table de pierre, Roland Bosquet, Éditions Écritures) Ps: Faut-il rappeler que cette exploration paysagère suivie d'une plongée dans la préhistoire s'est déroulée avant les dernières restrictions covidesques?

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Commentaires
L
Que de questions sans réponse... ! On ne sait jamais de quoi sera fait demain. Cependant, à force de piller les ressources, de gâcher les paysages en les coupant d'autoroutes, et autres dégâts engendrés par notre civilisation dite moderne, on peut présupposer que notre terre ne peut que mourir. Mais quand ? Demain sera sans doute vite là...
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L
Il est grand temps Cher Vieux Bougon, que vous vous adonniez au bonheur du transat*, à sa philosophie affûtée pour une paresse éclairée dans ce monde de brutes.<br /> <br /> *"Petit éloge du transat", de mon amie Vanessa Postec chez les éditions nouvelles François Bourin (un régal à déguster)
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L
Le ciel finira bien par tomber...
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