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Chroniques d'un vieux bougon
14 mai 2021

Rétro du lundi 15 mai 2012

retro_14_mai

C’était à la mi-mai de l’an 2012.

Visite aux chèvres naines qui réclament leur croûton de pain dur. Le soleil joue dans les branches des acacias et dessine sur l’herbe de leur enclos de longues ombres fantomatiques. Je ne m’en étonne pas. L’expérience m’a appris que les ombres sont toujours fantomatiques. Ainsi, si vous vous promenez dans les bois à l’heure où le rossignol se pose sur la plus haute branche du chêne pour chanter la sérénade à sa belle indifférente, vous constaterez que vous n'êtes environné que de silhouettes aux contours fugaces et éphémères.

Dans la vraie vie, les fantômes ne s’exposent que très rarement à la vue des simples mortels.  Si rarement d’ailleurs que d’aucuns affirment même qu’ils n’existeraient pas. Aussi, si cassé en deux au-dessus de votre platebande de radis roses pour en arracher paisiblement les mauvaises herbes, un fantôme apparaît soudain devant vous, réfléchissez avant d’en croire vos yeux ébahis. Souvenez-vous d’abord que vous avez peut-être accompagné votre part de camembert d’un vin de Bordeaux trop bien doté ou conclu votre mélange de Malabar moussonné et de Kwilu du Congo d’un généreux trou normand de derrière les fagots. Toutefois, l’apparition peut malgré tout s’imposer, alors et en dépit de la rareté de leurs manifestations et l’imagination aidant, il est possible de dresser des fantômes des portraits tout à fait ressemblants.

Souvenez-vous de votre dernière visite à la Grande Médi@thèque de la Ville. On y reconnaît facilement le campagnard au fait qu’il parle fort, comme s’il s’adressait aux merles qui pillent ses cerisiers. Certes, il est réputé naturellement taiseux mais on peut encore le démasquer au fait qu’il marche lentement, comme s’il voulait éviter les taupinières qui tapissent la pelouse de son courtil ou les mottes d’herbes qui servent parfois de gîtes aux lapins de garenne le jour de l’ouverture de la chasse. Lorsque vous l’avez donc clairement identifié baguenaudant le nez en l’air devant les rayonnages attribués aux ouvrages régionalistes où il espère retrouver des récits rapportant les hauts faits de ses ancêtres, vous savez de source sûre et par simple déduction que les ombres qui gravitent autour de lui sont des citadins.

Il peut arriver que l’homme de la campagne erre également sur les trottoirs ou, notamment, dans les parcs municipaux. Mais c’est plus par simple nostalgie que pour guetter les gouvernantes qui houspillent les jeunes enfants tentant une escapade. En tout état de cause, vous pourrez, là encore, le circonvenir facilement au fait qu’il porte de grossières braies de velours côtelé et de solides brodequins de cuir noir remontant à la dernière guerre. Certes, il se peut que des citadins se vêtissent comme lui de velours. Mais il s’agit alors d’un distingué velours râpé ; leurs chaussures s’appellent des "Clarks" et leurs manteaux des "duffle-coats". On dit alors que ce sont, tel Philippe Delerm*, des citadins ayant hérité d’une maison à la campagne pour les vacances scolaires et les fêtes de la Noël devant la cheminée. Il faudra toutefois se rappeler que les citadins présentant un tel accoutrement ne sont pas nécessairement tous des Philippe Delerme. Rien n’est pire que de généraliser comme ces experts en tout qui prétendent savoir, du haut de leur perchoir médiatique, ce que pense ou aime le menu peuple qui s’agite à leurs augustes pieds !

Donc, lorsque vous avez fait la part des choses et mis de côté les hommes de la campagne, mais sans le leur dire car ils seraient vexés, vous avez tout loisir d’observer les ombres citadines qui les entourent. Et c’est là que vous constatez qu’elles sont aussi inoffensives que des fantômes qui n’existent pas. Il n’y a donc aucune raison de les craindre. Tout comme les ombres qui vagabondent le soir au fond des bois. D’autant qu’il est très rare que des citadins errent le soir au fond des bois. Hormis, bien entendu, ceux qui y retournent en souvenir de l’époque lointaine où les villes étaient encore construites à la campagne ! (*Le trottoir au soleil, Philippe Delerm, éditions Gallimard)

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Commentaires
L
Des ombres qui vagabondent le soir au fond des bois, difficile d'en croiser quand on vit en ville. Cependant, des ombres nous accompagnent bien malgré nous, celles qui un jour ont pris le parti de quitter cette terre mais continuent de nous accompagner, silencieuses.
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C
Ouf !même si je les aime tous, mon animal de ferme préféré avec les volailles, les mignonnes Amalthée ont échappé aux égorgements, humain et animal. Paix à leur âme...Sorry pour le "ont telle" !!!! décidément, le clavier dérape "à mon insu". Forcément. Je suis friande de vos chroniques attendrissantes, poétiques, enrichissantes, pleine d'esprit, écrites avec une si belle plume ... qu'elles soient d'actualité ou plus anciennes, même si je les commente rarement, je n'en manque aucune, sauf panne informatique incontrôlable. Cher Vieux Bougon d'origine normande sachez que - "j'aime à revoir ma Normandie", moi, d'origine alsacienne, mais terre si proche de l'Ile de France où je (sur) vis - faites nous rêver encore longtemps, nous les citadins pour l'heure encore masqués, en manque de rosée (verte avec un "e") et d'émerveillements matutinaux campagnards et philosophiques...charlottte
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C
Vos petites chèvres ont telle échappé au méchant loup ?
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L
Maintenant ils essaient construire des campagnes à la ville.
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