Les réveilleurs de soleil.
Signe indéniable que nous sortons, du moins chacun l’espère, d’un épisode plutôt tourmenté de notre vie sanitaire et sociale, l’arrivée des premiers congés-payés au gîte rural de mes voisins et néanmoins amis agriculteurs Hélène et Sébastien a donné lieu à un concert d’avertisseurs digne d’un soir de match sur les Champs-Élysées. Le sourd brouhaha qui anime d’ordinaire notre hameau perdu au cœur des Monts est désormais bousculé pour près de deux mois avec, outre les habituels tracteurs, bétaillères et moissonneuses-batteuses, les allers et venues des voitures toujours plus pressées d'arriver nulle part, les rires tonitruants autour des barbecues et du vin rosé, les babillages infinis des promeneurs avides de nature authentique et, certains soirs, les rugissantes musiques showbizzesques bien éloignées des sonates pour piano des Mozart, Schumann ou Rachmaninov. Mais que se passerait-il si, demain matin, puis un autre matin, puis un troisième, le soleil refusait de se lever sous le prétexte qu’il a bien droit, lui aussi, à des vacances ? Impensable ? Incroyable ? Impossible ? Inimaginable ? C’est pourtant ce qui se produit au-dessus la ville d’Amourville et du courtil d’Edmond dans le roman d’Oxmo Puccino Les réveilleurs de soleil.
Oh le jardin d’Edmond est sans prétention, un arbre à thé au pas de la porte, des bambous noirs pour protéger les camomilles, un défilé de rosiers fiers comme Artaban, des basilics et autres plantes aromatiques à l’entrée de la maison et un petit coin de potager pour se nourrir sans acheter, mais un petit paradis tout de même. Un paradis hélas qui commence à s’étioler faute de soleil, ce qui préoccupe évidemment Edmond certes habitué à s’arranger avec ses douleurs et avec ce temps qui change tout le temps mais jamais au point de transformer bientôt son "paradis" en enfer. Alors Rosie, sa petite-fille, enfourche Harley, son fidèle vélo, et part en direction du domaine d’Arj-en-ville où réside Noé, l’homme le plus riche du monde qui possède assurément assez d’argent pour convaincre le soleil de mettre fin à sa sieste paresseuse et à reprendre sa marche diurne coutumière au-dessus du courtil de son Papy.
Fantastique randonnée, elle n’a guère pour provision qu’une seule gourde, un cœur et deux jambes, qui l’oblige à contourner la forêt des "On-dit" avec ses multiples dangers, les légendes prétendent qu’elle se nourrit des promeneurs imprudents et avale l’âme des gens qui meurent la tête noyée dans leurs problèmes, mais aussi avec ses rencontres improbables qui sauront peut-être la guider sinon l’accompagner dans sa quête un peu folle. D’abord contacter Aube, la gardienne de la forêt. Avec ses grands yeux clairs et ses longs cheveux bruns qui lui dessinent une aura de déesse d’autrefois, elle lui indiquera bien le meilleur chemin. Mais la fillette se trouve soudain nez à nez avec deux grands yeux plus sombres encore que la nuit. Elle hurle d’effroi, l’ombre aussi, leurs cris se mélangent et se confondent au point de se faire concurrence. Lorsque l’opéra cesse, Rosie découvre deux larges épaules recouvertes d’une longue cape, noire bien entendu, qui descend jusqu’au sol. Qui es-tu ? Et toi ? Je suis Crépuscule ! Je vais t’appeler Crêpe, c’est moins compliqué ! Et Rosie d’expliquer en une phrase et trois mots approximatifs le pourquoi du comment elle s’est perdue. Crépuscule rechine à comprendre mais le nez pointu et les cuisses de grenouille de cette petite effrontée qui n’a même pas peur de lui l’attendrissent. Trop heureux que quelqu’un, enfin, ne s’enfuie pas en le voyant, il décide de l’escorter.
Parviendront-ils à rejoindre le soleil et, si oui, à le persuader de reprendre sa course coutumière ? Que se passerait-il si Crépuscule et Aube étaient réciproquement frappés par l’amour ? L’organisation des jours ne risquerait-elle pas d’en être ébranlée ? Mille questions où le chanteur Oxmo Puccino entraîne la langue française par de réjouissants chemins de traverse où se mêlent la poésie et l’humour pour mieux nous faire toucher du doigt l’énergie de la jeunesse, l’urgence écologique, la vanité de la célébrité et le vertige des passions. Un livre qui fait du bien. (Les réveilleurs de Soleil, Oxmo Puccino, éditions JC Lattés)