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Chroniques d'un vieux bougon
5 août 2021

L'Arbre monde

arbre_monde

Aujourd’hui, les écologistes s’insinuent décidément partout et un beau duo d’entre eux vient tout juste de passer devant le vieux chêne deux fois centenaire qui marque l’entrée de mon courtil pourtant discrètement blotti au fond de sa vallée perdue au cœur des Monts. La chef.fe des deux, une ample dame patronnesse au regard sévère, me propose d’inscrire mon arbre au registre de son association écologique au titre de sujet exceptionnel et son acolyte, une pimbêche surdiplômée au menton pointu, de me décrire les "aménagements" que lui feront subir leurs bénévoles tels qu’un nettoyage écologique de ses entours, une taille écologique de sa ramée et un étiquetage durable à l’adresse des innombrables admirateurs qui ne manqueront pas de venir l’admirer. Je les remercie poliment de leur visite, leur assure que mon chêne ne manquera pas d’être flatté de leur suggestion, c’est un horrible cabot qui adore les flagorneurs, et que je les aviserai en temps voulu de sa décision. Mais mon chêne n’est ni une star du showbiz ni une vedette de la télévision et moins encore un objet de curiosité, c’est un être vivant qui a droit au respect de sa vie privée et à sa tranquillité comme tout un chacun. Hélas, les arbres sont à la mode et nombre d’entre eux ont été coupés pour fabriquer les innombrables livres dont ils sont les prétextes. L’Arbre monde de Richard Powers mérite cependant ces sacrifices tant il célèbre leur gloire avec une belle générosité et la lutte de leurs défenseurs avec une flamboyante empathie.

« Les courbes des aulnes, écrit-il, évoquent des catastrophes anciennes. Les chênes vénérables agitent des prophéties du temps qu’il fera. Les peupliers répètent les ragots du vent… Assise par terre et adossée à un pin une femme écoute les arbres qui disent des choses, des choses avec des mots d’avant les mots*. » Ils sont cent comme elle de par le monde. Mille peut-être et peut-être plus encore qui écoutent la rumeur des arbres qui se répand à travers les mers et les continents : il faut sauver les séquoias de Cascadie ! Et Mimi Ma renonce au confort par ailleurs relatif de son petit appartement de San Francisco. Adam abandonne ses étudiants en psychologie. Dorothy et Ray quittent leur emploi et partent. Douglas, rescapé du Vietnam, fuit devant la police qui veut encore l’embrigader dans des règles qu’il refuse. Neelay fuit devant la vie que lui préparent ses parents et crée des jeux vidéo en arborescence pour plus perdus que lui avant de tout lâcher au sommet de sa gloire et de sa fortune. Fillette, Patty était amoureuse d’un cerf fait de brindilles de rêves ; elle n’attendra pas d’être grande pour rejoindre les autres, elle aussi. Et bien d’autres encore qui vont se battre avec l’inconscience de leur conviction contre les Grandes Compagnies et leurs bûcherons qui n’ont de cesse d’araser les forêts de Colombie Britannique, de l’Oregon et de l’état de Washington.

Ils se battent parce qu’ils pensent que les arbres sont des êtres vivants, certes divers et multiples mais tous aussi indispensables. Il y a ceux qui se déploient comme des feux d’artifice et ceux qui s’élèvent simplement comme des cônes en faisant à peine onduler l’air. Il y a ceux qui s’étendent comme des temples égyptiens et ceux qui se dressent comme des pyramides. Il y a les tordus dont les branches aussi incontrôlables que les bras de Vishnou esquivent les rafales du vent, les étrangleurs qui s’accrochent autour du corps des autres pour grimper vers la lumière au point de les étouffer, les figuiers des pagodes comme le Bo de Bouddha avec ses feuilles qui s’effilent en alênes exotiques, les banians qui s’étalent en forêts entières de leurs cent troncs frères et néanmoins distincts et ceux qui, pour se nourrir, lancent leurs racines tentacules à travers les failles des murs, les explorent, les creusent, les désemplissent et, finalement, les dépouillent et les anéantissent. Sera-t-il vraiment possible de les sauver tous de la fureur destructrice des hommes ?

Emporté par un récit choral digne d’une symphonie, le lecteur se glisse au milieu des héros et les accompagne dans leur bataille dantesque pour sauver un éminent séquoia de Californie dont la canopée égratigne les nuages eux-mêmes en un formidable témoignage des temps jadis et de la puissance de la vie. Un livre d’aujourd’hui qui fait du bien. (* L’Arbre monde, Richard Powers, traduction Serge Chauvin, édition Cherche Midi.)

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Commentaires
L
Excellent article que j'ai lu d'une traite et avec beaucoup de plaisir. Les arbres et toute la nature sont vivants. Sans eux que deviendrait l'humanité ?
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L
Merci du conseil.
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