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Chroniques d'un vieux bougon
2 décembre 2021

Vive la campagne.

campagne

Le soleil, hésitant, tente de défricher le sous-bois de ses ombres nocturnes et dessine dans la rosée de longues trainées lumineuses aux reflets multicolores. À quelques pas de là, effrayé sans doute par mon arrivée, un jeune chevreuil à la robe poivre et sel saute la haie de buis et disparaît sous la bordée de sapins. Un peu plus loin, un couple de faisans s’enfuit dans un concert de piaulements vers le chemin qui longe mon courtil. Et traçant un long trait noir sur le ciel, un corbeau s’éloigne vers la vallée en contre-bas. Un matin d’automne ordinaire en somme, alors que les bouleaux dispersent leurs derniers écus d’or sur la pelouse, que les érables entassent leurs feuilles mordorées qui feront le terreau de l’an prochain et que les noisetiers abandonnent les leurs au pied des palisses pour masquer leurs noisettes aux regard perçant des écureuils. La vie à la campagne offre décidément des plaisirs flamboyants.

La campagne a d’ailleurs le vent en poupe à l’approche des grandes marées de solstice. Des spectacles grandioses s’annoncent. Puissantes bourrasques à l’intérieur des terres, arbres couchés sinon déracinés, toitures arrachées, électricité coupée privant les téléphones portables de leur gourmande recharge d’énergie, trombes d’eau dans les champs, débordements des fossés mal entretenus, envahissement des chaussées, circulation automobile entravée, transports scolaires contrariés, camions de livraison à l’arrêt et commerce électronique en pause. Poussées par le dérèglement climatique, les rafales venues de l’ouest déferlent sur le monde. La campagne est dans le vent.

La campagne d’ailleurs bat déjà son plein. Les oppositions politiques labourent le terrain contre l’augmentation du prix des "pleins" en essence, en gaz et en électricité et les commerçants de leur côté font campagne de tout bois en messages publicitaires. Scènes glamours à la télévision, affichages bifluorés sur panneaux géants, photos chics sur papier glacé et catalogues aguicheurs. Poêles à granulés et doudounes matelassées pour lutter contre le froid, jouets futuristes pour enfants noëlisés, truffe, foie gras et dindes bios pour les ripailles de fin d’années, robes de gala, parfums de luxe et souliers vernis pour le nouvel an sous le gui et chocolats gourmands aux parfums exotiques pour angoissés chroniques.  Les campagnes battent leur plein.

Au point que de tréteaux médiatiques en signatures de livres, les impétrants aux plus hautes fonctions battent eux aussi la campagne à la poursuite des meilleurs scores au tribunal des sondages. Souvenons-nous de ce père qui chevauche par une nuit sans lune serrant contre lui son enfant. Pourquoi trembles-tu mon fils ? Ne vois-tu pas l’avenir sombre devant nous ? C’est un brouillard qui traîne, mon fils. Père, n’entends-tu pas les plaintes autour de nous ? C’est le vent qui murmure dans les branches, mon fils. Père, que sont ces créatures sinistres qui avancent vers nous ? Ce ne sont que de vieux aulnes du temps passé mon fils ! Père, père, ils me saisissent, ils me broient…Et le père presse sa monture mais lorsqu’il touche enfin au sommet, l’enfant est mort dans ses bras *. Puissent-ils ralentir enfin leur funeste course aux promesses non tenues !

Mais la campagne attire encore malgré tout nombre de nostalgiques. Las de vivre dans leur petite boite encastrée dans des immeubles bruyants, las de déambuler dans des rues encombrées de mille passants pressés, las de baigner dans les vapeurs nauséabondes de la circulation, ils quittent tout pour "profiter" enfin du bon air des arbres, de l’odeur fade de l’herbe fraîchement coupée et des appels rauques des grues et des oies sauvages en route pour des cieux plus cléments.

Or la ruralité a aussi son revers. C’est toujours aussi lent, internet ? me demande mon nouveau voisin. Ah mon cher ami, vous êtes à la campagne ici ! (* Librement inspiré du poème de Goethe et du lied de Franz Schubert Le Roi des Aulnes) (L’Échappée, Ange David, éditions Léo Scheer et Campagne, Mathieu Falcone, Albin Michel)

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Commentaires
L
Fibre ou pas fibre, c'est lent !
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