Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
19 février 2022

La musique est un voyage.

musique

Parfois, alors que vous êtes confiné depuis plusieurs jours sous les bruines et les grisailles installées à demeure au-dessus de votre courtil, s’impose à vous une folle envie de voyage vers des contrées ensoleillées. En attendant de les rejoindre, vous pouvez choisir le dépaysement avec la musique.

Légère comme un soupir de silence, elle monte au loin portée par un murmure d’archet sur une corde de vièle, un accord de harpe clair et lumineux, un pincement de luth, trois notes de flûte sautillantes comme un cabri se rêvant papillon, et, onctueuse comme une gourmandise, une voix grave et entêtante ourlant une mélodie venue du fond des âges. Il s’agit de l’Ensemble musical Canticum Novum* forgé au répertoire de la cosmopolite cité d’Alep, l’une des plus anciennes villes du monde, alors qu’elle est encore la capitale de l’antique royaume Amorrite. Située au carrefour des traditions byzantines, arabes, turques, séfarades autant que maronites, arméniennes, syriaques ou coptes, elle s’est enrichie de leurs éblouissantes cultures musicales qu’elle a ensuite largement diffusées aux quatre coins des civilisations comme des passerelles entre les hommes.

Puis le décor change. Vous piétinez le parquet de chêne d’un salon d’apparat du château de Versailles et exposez à l’assistance jalouse la magnificence de vos atours, perruque fastueuse recouvrant vos épaules, jabot de fine soie, pourpoint de velours aux manches rehaussées de rubans multicolores, hauts de chausses qui exposent vos mollets sous collant blanc et double jarretière et souliers à talon rouge sang. Sous les dorures qui scintillent à la lueur des candélabres et accompagné de Madame Henriette à la basse continue, Marin Marais* conclut d’une gigue fougueuse l’une de ses célèbres compositions pour gambe. Lorsque tombent les dernières notes, Sa Majesté sourit, complimente les virtuoses et lance à la cantonade un "et dansons maintenant" digne de son fabuliste honni Jean de La Fontaine. Et la cour de s’élancer dans un menuet à la chorégraphie dument codifiée. Plus tard, soubrettes et valets se feront l’écho auprès de leurs compères de cette musique savante et élitiste, tricotant ainsi les refrains rebelles qui accompagneront par tout le royaume libelles vengeurs et pamphlets justiciers et préparant sans le savoir le Siècle des Lumières, le contrepoint et la Révolution.

Écoutez à présent sourdre des steppes sablonneuses de l’Asie centrale* la complainte aigüe des violons. Ils annoncent l’arrivée de voyageurs dont les ombres incertaines se dérobent encore dans l’onde trouble de la chaleur. Mais les silhouettes se précisent et le chant de la clarinette rappelle irrésistiblement par son balancement régulier la longue marche des caravanes d’antan. Les cors anglais entrent en scène pour évoquer les sombres et puissants refrains russes de basse-contre imprégnés des mélancoliques litanies orthodoxes et le convoi passe devant vous dans un capharnaüm de tumulte et de poussière. Puis les pizzicati au rythme lancinant des violoncelles s’estompent peu à peu et les flûtes s’évanouissent au milieu d’un nuage de sables du désert. La musique entraîne parfois sur des itinéraires inattendus d’épopées et de bruit.

Bach, Beethoven, Mozart ou Stravinski illumineront tout à tour l’Occident de leurs symphonies et de leurs opéras ; de gavotes en tarentelles, les crincrins populaires feront tourbillonner les paysannes endimanchées ; les polkas endiablées et les tangos langoureux des accordéons feront succomber les guinguettes énamourées ; les sublimes solos de trompettes de Bill Coleman et de Miles Davis feront se pâmer les amateurs de jazz ; les vibrations délirantes des guitares électriques survolteront les "hard-rockers" des Vieilles Charrues ; et l’In nomine lucis* de Pascal Dusapin envoûtera les arcades solennelles du Panthéon parisien.  En un mot, la musique est un voyage infini où le promeneur transporte en sa besace ses mille rêves d’éternité.  (* prononcer à l’ancienne, Canticom Novom / *Pièces à deux violes de Marin Marais par Jordi Saval et Christophe Coin / *Dans les steppes de l’Asie centrale d’Alexandre Borodine, Orchestre Lamoureux dirigé par Igor Markevitch 1959 / *composé pour le transfert du corps de Maurice Genevoix au Panthéon le 11 novembre 2020).  

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Canticum Novum une découverte qui me touche tout particulièrement. Merci !
Répondre
L
C'est formidable...
Répondre
Chroniques d'un vieux bougon
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
Albums Photos
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité