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Chroniques d'un vieux bougon
26 février 2022

Se reconnecter au vivant.

siderations

Situées au cœur de l’hiver, les antiques cérémonies de la chandeleur invitent tout un chacun à une purification universelle. Ainsi, respectant à la lettre cette injonction venue du fond des âges, l’Éducation Nationale renvoie-t-elle professeurs et élèves en leurs foyers dans le but de désinfecter les écoles, collèges et lycées des microbes, bactéries et autres virus délétères qui y prolifèrent joyeusement. Ce qui me vaut le plaisir d’entendre ma petite amie Anaïs frapper à ma porte le visage illuminé d’un vaste sourire : bonjour Papet !

Passées les retrouvailles autour de la rituelle crêpe à la gelée de groseilles du jardin, la belle vida les tiroirs de la commode de sa chambre à la recherche d’éventuelles poupées oubliées, exhuma d’anciens dessins abandonnés lors d’un précédent séjour et décida de son menu du repas du soir. Il n’était pas vingt et une heure lorsqu’elle m’invita à m’asseoir à ses côtés sur le canapé afin de regarder à la télévision le ballet Roméo et Juliette de Sergueï Prokofiev enregistré l’an dernier à l’Opéra Bastille. Je m’apprêtais à lui refuser les habituels dessins animés et voilà qu’elle se blottit contre moi pour vibrer aux luttes entre les Capulet et les Montaigu. Les enfants sont déconcertants ! Le dernier roman de Richard Powers, Sidérations*, en décrit quelques difficultés.

Le narrateur, Théo Byrne, est astrobiologiste et sa tâche consiste à discerner des traces de vie à travers le cosmos. La vie sous toutes ses formes, celles que l’on connaît ou croit connaître, celles que l’on ne connaît pas encore, celles que l’on pourrait peut-être connaître et celles que sa fantaisie toute scientifique par ailleurs imagine. Et le soir, à l’heure du coucher, il baguenaude avec son fils Robin sur des planètes improbables où la vie se déploie entre rêve et poésie. Alyssa, la mère de Robin, est décédée, morte précise Robin, au cours d’un accident de voiture en voulant éviter "une vie" qui traversait sa route. Militante écologique investie, elle arpente le Wisconsin et les états voisins du Midwest pour convaincre particuliers et politiques de respecter la Nature et cette Terre qui nous héberge. Immergé au cœur de ce bouillon de culture incandescent, Robin cherche sa place, muni certes de l’amour inconditionnel de son père mais encombré de lourds handicaps psychologiques qui l’isolent des autres et, notamment, de l’école. Théo Byrne nous fera revivre ses combats pour sauvegarder les subventions indispensables à ses travaux de recherche et pour aider son fils dans sa quête de lui-même.

Robin s’enferme en effet toujours un peu plus loin dans la connaissance minutieuse des animaux, plantes et fleurs qui l’entourent. Comme s’il tentait de retrouver sa mère disparue entre rhododendrons et tulipiers, grands-ducs à aigrettes et tortues tabatières, sous les grandioses canopées de caryers et de sapins-cigüe des parc nationaux qui encerclent les Grands Lacs. Les retours à la civilisation des flux perpétuels se font souvent chaotiques ; les abattements dépressifs succèdent aux colères incoercibles et les enthousiasmes incontrôlables prolongent les désespoirs infinis. Seuls les voyages intersidéraux avant qu’il ne tombe de sommeil à la nuit tombée parviennent encore à l’apaiser mais les questions pleuvent ; quelle est la taille de l’univers ? combien d’étoiles brillent dans le ciel ? combien sont celles que l’on ne peut pas voir ? pourquoi, dans un si grand univers avec tant de possibilités de planètes, nul ne nous a encore contactés ? L’astrobiologie hélas ne suggère que des réponses approximatives où s’entremêlent les atomes de lumière et les mousses des sous-bois, les systèmes stellaires complexes et les amibes eucaryotes, les trous noirs supermassifs et les sarigues de Virginie.

En réalité, une ultime interrogation taraude Robin : si le monde du dedans est aussi riche que celui du dehors, pourquoi n’en prenons-nous pas plus grand soin ? On dit que les enfants connaissent la réponse mais qu’ils l’oublient en devenant adultes. Saurons-nous dès lors un jour nous reconnecter au vivant ? (* Sidérations, Richard Powers, traduction de l'anglais américain Serge Chauvin, Actes Sud)

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Commentaires
L
Une question me taraude...Rien sans l'univers, qu'est ce que c'est ?
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