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Chroniques d'un vieux bougon
5 mars 2022

Procrastination, consommation et manipulation.

nudge

Cette fois, je ne peux plus repousser à demain, les langues pointues diraient procrastiner : je vais devoir sortir ma voiture du garage et gagner la ville voisine pour y procéder à quelques emplettes : mon "frigo" est vide ! Je sais pertinemment, grâce aux innombrables reportages traitant de l’impact de l’inflation sur le panier de la ménagère, que je vais devoir puiser plus profondément encore dans mon porte-monnaie. Je suis également conscient, grâce aux innombrables discours des thuriféraires des énergies vertes, que je vais consommer un coûteux carburant d’origine fossile et contribuer ainsi à l’épuisement des ressources de la planète. Et je n’ignore pas, grâce aux innombrables avertissements des écologistes, que, outre des particules fines si délétères pour la qualité de l’air, mon véhicule à moteur à explosion va émettre du gaz à effet de serre et aggraver d’autant le réchauffement climatique. En un mot, je suis parfaitement lucide quant à mon triste comportement de mauvais citoyen et je culpabilise grave, comme disent les "ados". Mais je n’ai guère autre choix : mes jambes de septuagénaire avancé se refusent à me transporter à bicyclette jusqu’au magasin sis à près de 25 kilomètres de mon courtil et à m’en ramener avec mon cabas plein sur le porte-bagage.

Comme tout un chacun en pareille circonstance, j’ai bien sûr préparé une liste de courses aussi exhaustive que possible, hâtivement je vous l’accorde mais en suivant scrupuleusement les conseils des spécialistes du budget familial. Or une question se pose d’emblée lorsque vous pénétrez dans votre habituel temple du commerce : pourquoi n’ont-ils pas disposé les rayons en fonction de vos besoins ? Vous allez devoir parcourir toutes les allées souvent encombrées par les chariots du personnel qui procède en prenant son temps au réassortiment des étagères, par les attroupements de retraités qui en profitent pour discourir gravement de la guerre bien sûr mais aussi des études du petit-fils et des nouveaux voisins si bruyants qui ... ou par des pères fiévreusement agrippés à leur smartphone dans l’espoir d’obtenir des précisions sur la taille des couches et la couleur des petits pots indispensables à la paix de leur foyer. En un mot et à mesure que vous avancez en manœuvrant entre les obstacles, vous en venez peu à peu à soupçonner les professionnels du "merchandising" d’avoir sciemment organisé ce capharnaüm pour vous inciter à piocher ici ou là maints articles dont l’utilité est loin d’être essentielle tels que les nouilles ou le papier hygiénique.

Mais je parviens malgré tout à atteindre les armoires réfrigérées offrant au chaland un large éventail de yaourts, crèmes, sauces et autres laitages. Jean-Louis Fournier disait que l’embarras du choix gâche parfois le plaisir de l’achat ; il avait raison. D’autant plus que, par exemple, les plaquettes de beurre normand peuvent très bien être insérées au milieu des fromages tous terrains et le vrai camembert, évidemment normand lui aussi, être implacablement rejeté à l’extrémité de la gondole. Vous voulez vous procurer un paquet de café ordinaire pour le cas où votre provision de mélange en grain de moussonné du Vietnam et de Kivu du Congo ferait défaut ? Ne perdez pas votre temps à consulter les étalages du tout-venant exposé à hauteur de vos yeux ou à portée de votre main : votre préféré nécessite pour le moins un escabeau pour s’en saisir. Avec un peu de chance, vous pourrez peut-être néanmoins demander à votre voisin qui frôle les deux mètres de vous l’attraper.

En conclusion, "faire ses courses" est une bataille de chaque instant dans un univers délibérément orchestré pour vous inciter à acheter toujours plus. Démarche ô combien perfide que les chercheurs en sciences cognitives et comportementales appellent, en bon français, le "nudge". Il paraitrait même que les gouvernements et leurs institutions, qui ne nous veulent bien sûr que du bien, en useraient et abuseraient sans vergogne pour nous encourager, en douceur, à respecter leurs consignes.  Voilà qui laisse bien des choses à penser.

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Commentaires
L
Même quelques fois, la liste reste à la maison...
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