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Chroniques d'un vieux bougon
8 mars 2022

Nuages, papillons et grues cendrées.

nuages

Au-dessus des bouleaux dont les cimes commencent à s’orner d’un mince voile céladon, un ciel de févier qui peine à faire oublier la gelée du petit matin mais dénoue l’horizon jusqu’aux limites des Monts. Pas un oiseau, pas même la trace du passage d’un avion mais un ciel vide et bleu. Un bleu brut, métallique, pas ce bleu outre-mer qui a fait la fortune d’Yves Klein, pas ce bleu énamouré des cartes postales qui fait pâmer les midinettes, pas ce bleu délavé qui baigne les îles comme une invitation à s’y plonger sans fin mais un bleu sec, céruléen. Et perdu au milieu de cette immensité, un petit nuage joufflu et blanc comme une promesse immaculée. Un petit nuage tombé de nulle part, comme pétrifié à l’idée de semer le désordre dans cette perfection inattendue. Un petit nuage de rien du tout que le promeneur pourrait même ne pas voir, un petit nuage banal et insignifiant, mais un petit nuage qui ouvre vers des ailleurs.

Ma petite amie Anaïs l’aurait en effet promené aux quatre coins, des chênes aux châtaigniers et des fayards aux acacias, campé à la pointe du clocher de l’église comme un point sur un "i", ou dissimulé au fond de la vallée avant de le faire jaillir soudain à la poursuite d’un vol de grues cendrées ou d’oies sauvages en route pour les septentrions. Elle aurait gonflé ses joues comme celles du dieu Éole d’Homère lorsqu’il pousse les voiles du bateau d’Ulysse sur les vagues bleues de la mer Égée. Elle l’aurait coiffé de boucles blondes, comme les siennes, et y aurait fait jouer la brise menue et délicate qui porte la fraîcheur des soirs d’été. Elle lui aurait dessiné des yeux grands ouverts sur le monde, des yeux bleus bien sûr, comme les siens, et sculpté sur ses lèvres un sourire d’enfant de fantaisie. Ma petite amie Anaïs aime à parsemer l’univers de milliers de grains de poésie. Mais qui ne distingue jamais un lion rugissant dans un amas de cumulonimbus juste avant l’ondée ? Qui ne perçoit jamais une ligne de fuite dans les rayures du parquet de la salle d’attente du médecin ? Qui ne devine jamais une silhouette étrange, un visage oublié, un chemin tortueux sous les frondaisons dans les tracés de la pluie contre la vitre du salon ? Qui n’a jamais laissé courir son imagination ?

Un modeste ennui lui suffit parfois pour prendre son envol, quelques instants suspendus avant que l’eau du thé ne soit chaude, que le café soit coulé, que le repas soit prêt. Mais la tentation est grande aussi lorsque sourdent aux alentours, tapies dans les recoins de la vie, des ombres troublantes qui menacent notre confort ou nos habitudes. Une contrariété qui bouscule le quotidien, un regard qui fuit ou au contraire un regard insistant croisé dans la rue, une attitude inamicale ou jugée comme telle lors d’une rencontre, tout est propos à marquer un pas de côté et à s’éclipser vers des provinces égarées où le songe se donne libre cours.

Il est aussi de ces écarts qui aident à déjouer les souffrances qui envahissent l’âme et l’étouffent. Ils offrent une respiration et apaisent le cœur, adoucissent le présent ou, au moins, apprivoisent la douleur. Et il est aussi des écarts qui ne sont que des échappatoires, des ruses de l’esprit pour ne pas voir l’évidence. Nietzsche notait que les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont*. La période que nous traversons en offre maintes occasions.

Qui n’a jamais été tenté de repousser les affirmations péremptoires qui émaillent en ce moment les harangues des tribuns médiatiques sous le prétexte qu’ils n’ont peut-être pas tout à fait tort mais qu’ils menacent notre tranquillité à venir ? Le changement climatique par exemple, le coût de l’énergie, les dangers de la malbouffe, les addictions aux incessants flux informatiques, les maladies dégénératives qui menacent, la vieillesse qui approche ou le tintamarre assourdissant des bruits de bottes des ambitions militaires. Qui n’a jamais alors composé des trajectoires rassurantes dans le vol erratique d’une hirondelle, d’un papillon ou d’une abeille ? Un nuage dans le ciel peut être une invitation au rêve. L’humeur du jour fera le reste. (*Le Livre du philosophe, Friedrich Nietzsche, Flammarion)

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L
Depuis plusieurs jour des vols de grues survolent le canton.
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