La coquetterie des va-nu-pieds.

Le chant du coq a retenti dans la basse-cour attenante à votre courtil blotti dans sa vallée perdue au cœur des Monts mais il n’a pas troublé votre sommeil, pas plus d’ailleurs que l’angélus du matin carillonné par les cloches de l’église du village et le ronronnement des voitures de vos voisins salariés en partance pour leur travail. Seul le téléphone a pu réaliser cet exploit : on arrive ! Se lever en toute hâte, s’habiller "au débotté", rabattre la tignasse des derniers cheveux blancs et se précipiter pour préparer le café. Et là, oh horreur ! oh déchéance ! vous constatez que l’un de vos pieds est nu !

Les découvreurs de la fresque préhistorique de Jabbaren dans le Tassili n’Ajjer remontant à 6000 ans avant notre ère commune ne manquèrent pas d’être émerveillés par la qualité du trait, sa puissance et sa légèreté. Ils remarquèrent même, outre la grâce naturelle des danseuses dignes des ballerines de l’Opéra, que leur pudeur était délicatement protégée d’un pagne. Ils ne purent toutefois s’affranchir d’un certain malaise. Comme lorsqu’un détail vous manque. Peut-être est-il insignifiant mais son absence brouille malgré tout une bonne compréhension du sujet. Jusqu’au jour où quelqu’un, quelque part, s’étonna avec ravissement : pourquoi n’ont-elles pas de chaussettes ? Le philosophe Jean Guitton disait que l’étonnement est source de pensée ; tels le modèle de Rodin, les penseurs de tous bords se penchèrent derechef sur la question et rédigèrent maintes études … qui débouchèrent modestement sur un aveu d’ignorance.

Semblable sentiment a dû troubler les archéologues qui examinèrent la dépouille d’Ötzi, le fameux homme des neiges européen. Comme on l’a vu dans une précédente chronique, il portait pour seuls vêtements un pagne en peau de chèvre maintenu par une ceinture en peau de veau, une grande veste en cuir de chamois et de bouquetin, des jambières attachées à la ceinture par des jarretelles, une cape en fibres végétales tressées et un bonnet de fourrure en peau d'ours. Mais là encore manquait dans cette énumération un élément important et peut-être même décisif qu’ils ne parvenaient pas à identifier. La communauté scientifique internationale se préparait à désigner un expert pour mener l’enquête et résoudre cette énigme d’autant plus importante que la victime avait été retrouvée gisant dans le glacier de Hauslabjoch à 3210 mètres d’altitude lorsque le fils cadet de l’un des stagiaires en faction devant le corps de cet ancêtre de monsieur Perrichon élucida le mystère : il ne porte pas de chaussettes !

En réalité, cette absence est tout à fait logique. Les historiens ne relèvent la première utilisation de chaussettes que vers l’an 2000 avant JC dans l’actuelle Syrie, soit 1300 ans après notre homme. La chaussette devait par la suite connaître des fortunes diverses jusqu’à atteindre son apogée pendant la première guerre mondiale du siècle dernier lorsque des cohortes de tricoteuses s’armèrent de leurs aiguilles pour approvisionner les hommes partis au front.

Le débat n’en reste pas moins ouvert entre les "pour" et les "contre" cette inestimable protection podologique. Les premiers avancent que la chaussette est un élément crucial pour lutter contre le froid, bien que certains alpinistes de l’extrême voient leurs fragiles orteils gelés en dépit de leurs chaussettes de laine et leurs chaussures toujours plus perfectionnées. Les seconds lui reprochent sa trivialité sinon même sa frivolité depuis que la mode a imposé les codes les plus délirants pour en assortir la couleur à celle de la cravate.

Quoi qu’il en soit, les semaines passées ont montré que l’on peut débattre de tout en direct, en boucle, en rediffusion ou en "podcast" comme ils disent mais le peut-on également des goûts et des couleurs dans un monde qui tourne autant de guingois ? 

Comments

[Loulou le filou]

Depuis quand date la chausse-trappe ?