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Chroniques d'un vieux bougon
7 juin 2022

La bonne question.

bonne_question

Arrivé à l’improviste et abandonnant la pluie derrière lui, l’orage offre au jardinier l’opportunité de ne rien faire au potager et de réécouter Laure Favre-Kahn* dans le scarbo du Gaspard de la nuit de Maurice Ravel.  La pianiste se joue des périlleuses difficultés techniques imposées par le compositeur et entraîne l’auditeur dans un féérique voyage en compagnie du petit lutin charmeur du poème d’Aloysius Bertrand*. Je décide de jouer moi aussi ma partition et allume mon ordinateur.

Après une interminable attente pour cause de liaison internet nonchalante, j’accède enfin à mes "mails". Il me faut alors naviguer à vue entre les canulars, les affabulations, les attrape-nigauds et les vraies publicités maquillées comme des mères maquerelles pour retenir l’attention. Je m’apprête à tout déverser dans la poubelle lorsque l’un des messages retient toutefois mon attention. La tenancière d’une modeste librairie perdue dans la campagne départementale me sollicite pour une séance de signature un samedi à venir. Qui est cette aventureuse libraire ? Où cache-t-elle son estaminet ? J’interroge mon moteur de recherche.

D’emblée, le système annonce fièrement plus de 42 000 occurrences en 0,55 secondes. Les plus visitées ou celles mises en avant défilent joyeusement sous mes yeux. Un clic par-ci, un clic par-là, les aléas décident pour moi et je me laisse emporter par le cours des choses, les enchaînements d’idées et les approximations. Leur défilé n’exige de moi aucune attention particulière, juste un réflexe pavlovien auquel je me soumets sans même m’en rendre compte. Et je pourrais ainsi voguer des heures, à peine ballotté par le ressac informatique, hors du temps et de l’espace. Plus de nord, plus de sud, plus d’hier ni d’aujourd’hui, plus de bien non plus ni de mal. Je n’ai pas à choisir puisqu’ici tout se vaut. Il me suffit de suivre le sens du vent, dans un abandon qui me laisse apathique et indolent. Dans un renoncement à toute réflexion et une abdication tacite de mon intention d’origine.

Où m’auraient conduit ces enchaînements pervers si j’avais posé une véritable question ? Qu’est-ce que la vie, par exemple ? Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce que le beau, le vrai, le bon ? Qu’est-ce qui est juste ou injuste ? En réalité, nous ne nous interrogeons qu’à de rares occasions sur ces concepts hautement philosophiques. Mille divertissements titillent déjà en permanence nos sens et nos neurones sans qu’il soit nécessaire de faire appel à des notions aussi vastes et parfois même angoissantes. Qui s’inquiète, entre la poire et le fromage, de la place de la notion d’éternité dans un monde en flux perpétuel ? Et si vous voulez partager votre souci avec votre voisin, votre boulangère, l’épicier du coin de la rue ou le facteur, vous n’aurez probablement droit qu’à un sourire apitoyé : il vieillit, le vieux bougon ! Ce ne sont là en effet que galères pour bachelier, sujets d’expert pour la télévision, contes fantastiques pour enfants sages sinon même pures galéjades de comptoir.

Nous sommes appelés en ce moment à désigner le meilleur ou le moins mauvais candidat à la députation mais nous préférons bien nous laisser guider par le ruissellement de nos petites distractions, de nos petits plaisirs, de nos petites jouissances. Hélas, nul cabotage sur l’océan des hasards ne saura jamais choisir pour nous. Il nous faudra sortir de notre petit confort désabusé, activer nos propres cellules grises, libérer nos dernières réserves d’empathie collective et décider par nous-mêmes.  

Mais la prochaine fois, au lieu de chercher à dénouer, grâce à la toile, des embarras de tuyauterie, de date de péremption ou d’alternances citoyennes, osons poser une "vraie" question. De celles qui tiennent réellement à cœur. Les réponses, innombrables, devraient nous prêter bien des choses à penser. (*Gaspard de la nuit, Aloysius Bertrand, Gallimard / Vers la flamme, Laure Favre-Kahn, Naïve)

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Commentaires
L
Il faut trouver le moins profiteur, et ce n'est pas facile.
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