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Chroniques d'un vieux bougon
10 juin 2022

Ils parlaient de foot.

oradour

Ce 10 juin aurait pu être une journée ordinaire. Le soleil inonde la campagne. Les vaches sont dans les prés où l’herbe est grasse. Il y aura du foin cette année. Les enfants sont à l’école. Les femmes font leurs emplettes à l’épicerie ou chez la mercière, leurs lieux de rencontres favoris avec l’église. Le maréchal-ferrant et le docteur échangent quelques mots au sujet d’une cohorte motorisée de l’armée nazie remontant vers le nord mais on ne s’en inquiète pas outre mesure ici : les boches seront bien trop pressés de gagner le front de Normandie pour s’attarder dans un village sans histoire.

Pourtant, vers 14 heures, un détachement du premier bataillon du quatrième régiment de Panzergrenadier "Der Führer" de la panzerdivision de la Waffen SS "Das Reich", se présente. Sous le prétexte de contrôler l’identité des habitants, ils les rassemblent sur la place du Champ de Foire. Après discussion avec le maire qui tente l’impossible pour protéger ses administrés les femmes et les enfants sont conduits jusqu’à l’église. Les hommes sont regroupés et entraînés vers les garages, les granges et les remises. Le Stuhrmann führer, soi-disant à la recherche d’un dépôt de munitions, ordonne une perquisition. L’attente est longue. Assis dans le foin, les jeunes discutent à propos du match de foot prévu pour le lendemain. Les soldats, armes sur l’épaule, semblent décontractés et chahutent entre eux. (La plupart ont entre 18 et 20 ans.) Les mitrailleuses orientées vers les lieux où sont parqués les hommes représentent la seule vraie menace.

Soudain, une détonation retentit. Les SS se ruent sur leurs armes et font feu. Froidement, sans hésitation ni scrupule. Ils tirent pour tuer. Pas de survivants ! Ils recouvrent les corps des hommes de paille et de fagots et y mettent le feu. Dans l’église, ils disposent une caisse de fumigènes dans le but d’asphyxier les femmes et les enfants. À moins que ne soit pour ne pas voir leurs corps s’effondrer car ils ouvrent les portes et mitraillent à l’aveuglette. Le village est ensuite incendié, méthodiquement, maison par maison, hangars, remises, appentis. Dans sa rage meurtrière, la force brune ne veut pas laisser de traces. Lorsqu’ils reprennent leur route vers le nord, les SS abandonnent derrière eux 642 victimes. Seuls une femme et cinq hommes survivront. Robert Hébras est l’un d’eux.

Interrogé par Laurent Borderie, il raconte, une fois de plus, les événements tels qu’il les a vécus dans un beau livre témoignage, "Avant que ma voix ne s’éteigne". « Lorsque je me promène ici, dit-il, je ne vois pas le même paysage que vous. Je vois un village intact, celui que j’ai connu, jusqu’au jour où les SS sont arrivés ». Et malgré l’émotion qui l’étreint à chaque fois, Robert Hébras parle. Il s’en est fait un devoir. Il parle aux jeunes des écoles, des collèges et des lycées français comme aux jeunes allemands, à celles et ceux qu’il guide à travers les ruines, à la radio, à la télévision. Il raconte encore et toujours. Simplement. Avec ses mots à lui.

Dans ses Mémoires, le Général de Gaulle écrit qu’"il ne faut plus jamais qu’un malheur pareil se reproduise". Robert Hébras aura 97 ans à la fin de ce mois mais s’il témoigne encore et toujours de l’enfer qu’il a vécu et du martyre de son village, il avoue aussi sa désespérance face au déferlement de violences et d’atrocités de retour à notre porte. Un jour viendra-t-il où son témoignage et celui de tant d’autres comme lui porteront enfin leurs fruits ?                                                                                  ("Avant que ma voix ne s’éteigne", Robert Hébras, propos recueillis par Laurent Borderie, Elytel éditions / Le dernier témoin d'oradour sur Glane, Mélissa Boufgi, Agathe Hébras, Robert Hébras, éd. HarperCollins et lire également l’émouvante Page de Catéchisme d’Albert Valade, éditions La Veytizou / Centre de la mémoire d'Oradour sur Glane)

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Commentaires
L
On n'a rien appris, on laisse faire Poutine.
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A
J'ai bien peur que d'autres voix ne prennent bientôt le relais pour venir témoigner de semblables atrocités plus actuelles. L'homme ne guérira jamais de sa férocité !
Répondre
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