Combat de titans.
Combat de titans dans le ciel de mon courtil. Attirées sans doute par de jeunes lapereaux inexpérimentés baguenaudant sur la pelouse ou par les tourterelles étourdies et bavardes jabotant joyeusement de fayard en châtaignier, deux buses patrouillent en altitude depuis un bon quart d’heure. De temps à autre, elles se rapprochent, amorcent un piquet jusqu’à effleurer les futaies et repartent d’un coup d’aile comme si elles renonçaient à leur proie. Mais c’est compter sans la présence sourcilleuse d’une compagnie de freux installée à demeure au fond de la vallée.
Deux d’entre eux ne tardent pas à surgir. Ils évitent bien sûr tout contact et se contentent de quelques tours de repérages avant de repartir discrètement. Et c’est une escadrille au grand complet qui revient bientôt dans un bruyant concert de croassements avec l’intention manifeste de reprendre possession du ciel dont ils se considèrent comme les maîtres absolus. Les buses observent d’abord avec dédain les gesticulations des nouveaux venus. L’une d’elle semble même s’engager dans une descente accélérée. Pendant que le reste de la troupe virevolte à l’étourdir autour de sa compagne, un trio de compères fond sur la téméraire. Désarçonnée, celle-ci se trouble, tergiverse, fait un écart, insiste malgré tout avant de renoncer et de rejoindre sa complice.
Mais cette maigre victoire ne saurait suffire aux assaillants qui poursuivent leur tourbillon au milieu du champ de bataille en lançant leurs longs "krééééh- krééééh" de guerre qui résonnent dans l’air immobile. Les intruses se concertent, semblent hésiter quant à la suite à donner à leur expédition et finissent par lancer une fulgurante attaque comme si elles voulaient tester une dernière fois l’ardeur de leurs adversaires. Qui répliquent évidemment sans attendre. Elles s’enfuient alors sans autre forme de procès vers la chênaie voisine. Les vainqueurs exultent et s’accordent un ultime tour de piste avant de disparaître jusqu’à n’être plus qu’un point noir perdu dans le bleu métallique de l’azur.
Le calme ainsi revenu, je reprends ma tâche en songeant que j’aurais pu tout aussi bien décrire là quelque affrontement aérien entre avions de chasse ennemis. Quoi qu’il en pense et quoi qu’il fasse, l’homme ne se comporte pas autrement que les autres prédateurs de la gent animale. À la différence toutefois que sous prétexte d’intelligence, il ne respecte rien, ni ses propres congénères ni la nature qui le nourrit. Il y puise au contraire à brassées inconsidérées sans égard pour ses héritiers, sans souci pour les plus faibles, sans considération même pour son propre avenir. Les veilleurs ne manquent pourtant pas pour l’avertir des dangers encourus.
Cahin-caha et en dépit des dérèglement climatiques et de leurs perturbations, la nature poursuivra son chemin comme elle le fait depuis toujours, les plus forts survivront, les plus faibles pâtiront, la nature ne connaît ni le bien ni le mal. Mais qu’adviendra-t-il avec le temps de nos petits conforts domestiques ? Laisserons-nous indéfiniment le gaz à effet de serre brûler notre oxygène et étouffer notre atmosphère ? Laisserons-nous perdurer la fonte des glaces, l’élévation du niveau des océans, les sécheresses et les inondations, sans oublier les famines qui en découlent et nos propres pollutions ? L’heure n’est plus aux incantations idéologiques ni aux rêves illusoires de grands soirs qui n’arrivent jamais. Il faut agir maintenant et concrètement !
Certes, dans un milliard d’années, la chaleur du soleil sera si élevée qu’elle aura carbonisé toute vie sur notre planète. Mais d’ici là, ne devrait-on pas essayer de la conserver habitable pour tous ? Le monde avance d’un pas joyeux sur les chemins de son futur, mais pour combien de siècles encore ?