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Chroniques d'un vieux bougon
24 juin 2022

Le Grand Circuit de Printemps

circuit

Le Syndicat d’Initiative organise chaque printemps un grand parcours champêtre autour du village avec ornithologues patentés, herboristes titrés, mycologues avertis et pique-nique convivial dans une ferme "typique". L’objectif est de faire découvrir aux citadins le charme sans pareil de nos chemins de traverse, l’originalité de nos mégalithes sculptés par l’érosion, notre abri préhistorique certifié par la faculté et la richesse de la biodiversité de nos multiples étangs. Ainsi, bien sûr, que la gentillesse écologique de la population arborant en toute circonstance un éclatant sourire bio.

L’opération commence traditionnellement par un débroussaillage systématique du parcours et des lieux de visite souvent envahis par les fougères, les hautes herbes et les ronces. C’est ainsi que le sentier qui longe mon courtil bénéficie des soins tout particuliers d’une escouade de "jeunes" retraités bénévoles qui oublient rarement de s’arrêter chez moi pour "casser une croûte" et boire un verre de cidre ou un café. Les péripéties covidesques ayant réduit leurs efforts à néant les deux années passées, ils reportent aujourd’hui tous leurs espoirs sur l’édition à venir. Leur désillusion sera à la hauteur de leurs attentes.

L’affaire commence lors de la dernière séance publique du Conseil Municipal. Conséquence des récurrentes baisses des dotations de l’État aux collectivités locales, comme ils disent, les communes doivent parfois trancher entre les nombreuses ambitions électorales de leurs élus, offrant ainsi l’occasion à l’opposition de vilipender les pratiques dispendieuses de la majorité. Prévenant cette injonction désormais rituelle, le maire propose d’emblée de suspendre un certain nombre de dépenses superfétatoires dont le poste de garde-champêtre, le titulaire atteignant opportunément l’âge fatidique de la retraite.

Qui fera son travail ? s’inquiète un conseiller. La secrétaire de mairie qui, par conscience professionnelle, ne manque aucune de ces représentations démocratiques, suggère à mi-voix à son voisin, mais assez fort tout de même pour que toute l’assistance entende, que vu la pauvre quantité de travail fournie par le sortant, n’importe quel autre agent devrait y parvenir sans difficulté en plus de ses propres tâches. Soucieux de ne pas froisser ses agents, l’adjoint en charge du personnel s’insurge. Ils sont débordés, affirme-t-il sans ambages ! Avec l’entretien du stade de football et des parterres entourant la mairie, la tonte des bas-côtés des routes, la taille des haies qui débordent sur la chaussée, la surveillance de la sortie de l’école et la conduite de la voiture du maire qui a perdu ses points de permis l’hiver dernier, il ne leur reste plus de temps disponible. Et le secrétaire local de la section du syndicat des agents communaux d’arborer un vaste sourire. Mais le maire a, de toute façon, déjà pris sa décision.

Après un regard à son premier adjoint pour s’assurer de sa connivence, il soumet sa proposition à l’assemblée qui l’adopte incontinent. Depuis ce jour, les caniveaux du bourg ne sont plus balayés, la pelouse du stade n’est tondue qu’une semaine sur deux, le maire se déplace à bicyclette pour se rendre à son bureau de maire mais surtout et entre autres sacrifices, la distribution de viennoiseries, jus de fruits et autres boissons énergisantes qui sont habituellement offertes aux randonneurs de ce Grand Circuit de Printemps est supprimée. Cette belle baguenaude bucolique aurait pu succomber à une aussi sournoise attaque comptable ; il n’en fut rien car portée par un volontarisme à toute épreuve, elle se déroulera malgré tout comme prévu. Hélas, découragés par l’absence de friandises gratuites et une "météo" caniculaire, les visiteurs la boudèrent franchement.

Dès lors, il est fort probable que dans son prochain bulletin municipal, le maire déplorera la dégradation de l’attrait de notre village auprès des amateurs de verdure ; dégradation qui risque d’entraîner à terme le détour de nouvelles familles dans le lotissement communal et, par suite, la baisse du nombre d’enfants à l’école et la suppression d’une classe au moins ! Empruntant alors la pente ainsi amorcée, le boulanger éteindra son four, la pharmacienne mettra la clé sous la porte de son officine, la tenancière du bureau de tabac presse voguera vers d’autres cieux, le bistrot de la place de l’église baissera son rideau, le médecin désertera son cabinet et les derniers vieux se réfugieront dans l’EHPAD de la ville voisine !

Ne soyons toutefois pas trop pessimistes : tout n’est pas perdu. Avec un peu d’opiniâtreté et beaucoup d’obstination, nul doute que nous pourrions faire revenir la volage Pomponette et son maître boulanger. Après lui, le patron du bar distillera de nouveau ses galéjades de mauvais goût derrière son comptoir de formica, le prêtre et son bedeau rouvriront l’église et reprendront leurs cantiques, la médecin de campagne, stéthoscope en bandoulière, redélivrera ses ordonnances, le bagout de la pharmacienne relancera les débats qui secouent le bourg et ses hameaux et les rires espiègles de nos précieux chérubins pourront dès lors retentir encore longtemps dans la cour de l’école.

Utopie de rêveurs grinceront les pragmatiques ! Nostalgie d’anciens reprocheront les "progressistes" ! Fantasme de bobo néo-rural concluront les ronchons de tous poils. Peut-être un peu tout cela, c’est vrai. Mais comme le rappelle mon ami Loulou*, on est bien parvenu à réintroduire les ours dans les Pyrénées ! 

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Commentaires
L
J'avais laissé un commentaire, mais il a disparu, j'ai dû oublier de le publier, et en plus j'en faisait référence sur mon blog, je disais, ils ont fermé tous les commerces et services publics dans les villages, et ils nous demandent de ne plus prendre nos bagnoles.
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