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Chroniques d'un vieux bougon
1 juillet 2022

Trois fois rien.

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Sorti de sa léthargie par les préparatifs des fêtes du solstice, le bourg du village est en pleine effervescence. Dès samedi soir mais rapatrié dans la salle des fêtes pour cause de pluie, un grand banquet dédié à la convivialité a réuni non seulement les hameaux les plus éloignés mais aussi les premiers estivants descendus d’Outre-Rhin autour de cochonnailles de la ferme, de pain cuit au feu de bois, de bières locales, vins rosés et cidre bouché. Un grand feu de Saint-Jean prévu à proximité a dû être annulé mais les anciens ont malgré tout pu reprendre au son de l’accordéon les danses d’autrefois désormais folkloriques. On dit que plus tard dans la soirée certains jeunes, portés par de tonitruantes vibrations de guitares électriques, ont pu à leur tour célébrer l’été jusqu’au petit matin. Le dimanche, lui, a été consacré au traditionnel vide-greniers toujours à l’abri des intempéries, donnant ainsi l’occasion de soutirer quelques sous aux visiteurs tout en se débarrassant de vieilleries "typiquement authentiques". Assigné pour ma part à la vente de livres d’occasion au stand affrété par le "Point Lecture", j’ai tout loisir, en attendant le chaland, d’en sonder les plus attrayants.

 C’est ainsi que je tombe en arrêt devant un ouvrage plutôt intriguant. L’épaisse couverture cartonnée aux savantes enluminures dorées arbore en grosses lettres aux pleins et déliés réglementaires un titre alléchant : journal personnel. Je succombe aussitôt à la curiosité et compulse avec fébrilité les pages chiffonnées d’avoir été si souvent manipulées. D’une fine écriture plutôt féminine au moderne stylo à bille, s’aligne sagement une longue liste de faits divers tout juste séparés par une date ou un dessin d’enfant. Je feuillette au hasard, reviens en arrière, saute quelques passages, m’attarde sur celui-ci, glisse sur celui-là avant d’atteindre la page blanche de la fin. Ce premier survol, certes aléatoire, ne révèle guère au premier abord qu’une collection d’anecdotes indépendantes les unes des autres ; l’une d’elles retient toutefois mon attention et avec d’autant plus de force qu’elle ne remonte qu’à trois années en arrière.

J’apprends ainsi qu’à l’aube du 6 mai de l’an de grâce 2019, naît à l’hôpital de Portland, au cœur de Londres, un "royal baby " de 3,3kg. À la même heure mais dans un appartement sis au troisième étage de l’immeuble numéro 333 de la rue Maurice Thorez d’une ville de la banlieue de Bordeaux, (département 33), la brigade des stupéfiants saisit 3,3kg de cocaïne. Au même moment mais à l’entrée de Clermont-Ferrand, (département 63), la voiture d’Alice, 33 ans, percute un arbre de plein fouet ; son dernier message téléphonique, à 7h33 précisément, informait son employeur d’un possible retard. Dans la matinée, à Issoudun, une humble bourgade de l’Indre, département 36, Élisabeth, 66 ans, consulte son médecin de famille pour une mauvaise bronchite. Dites 33 lui demande ce dernier. Elle obéit docilement. Il détecte alors une déficience cardiaque et l’oriente aussitôt vers le centre hospitalier de Poitiers, département 86, lui sauvant peut-être ainsi la vie. Vers midi, c’est Brigitte Michalon, à la retraite depuis 3 ans dans sa Charente natale, (département 16), qui achète 3,3kg de sucre en vrac au magasin de producteurs bios à côté de chez elle pour accompagner sa confiture de rhubarbe. Et dans l’après-midi, à l’entrée de la ville d’Amarillo, 203 393 habitants, dans l’État du Texas, et alors qu’il parcourt à moto la terrible route 66 qui traverse les Etats-Unis, John William Brown, troisième du nom, retrouve son fils John-John qu’il n’a pas revu depuis trente-trois ans. Est-ce là de simples coïncidences  ? En tout état de cause, l’auteure de ces lignes avait manifestement été alertée.

Le chiffre 3 ou l’un de ses multiples se glissent en effet un peu partout, des conceptions les plus grandioses de l’Histoire et de l’Univers jusqu’aux moindres recoins de la vie quotidienne. Selon les archéo-anthropologues, la sélection naturelle aurait conçu les homininés il y a environ 6 millions d’années dont les Homos Sapiens 3 millions d'années plus tard. Plus proche de nous et selon la Bible, Dieu aurait créé l’homme et la femme le sixième jour de la semaine, les rois mages étaient au nombre de 3 et Jésus était accompagné de 12 apôtres. Selon une autre légende, c’est en 1066 que Mathilde commença à broder au point de croix la fameuse tapisserie de Bayeux longue de près de 6 mètres et relatant les exploits guerriers de son époux Guillaume le Conquérant*alors qu’à 39 ans, il envahissait l’Angleterre. En 1333, naissait Blanche de Navarre qui épousera Philippe VI de Valois et deviendra ainsi reine de France. Le 26 janvier 1666, soit 600 ans après le vainqueur d’Hastings, Louis XIV déclarait la guerre à l’Angleterre et le 6ème jour du 9ème mois de la même année, un gigantesque incendie ravageait la ville de Londres à 60% mettant fin à l’épidémie de peste qui avait déjà provoqué près de 96 000 morts !

Comment le lecteur le moins attentif pourrait-il ignorer toutes ces concordances ? Comment pourrait-il ne pas rechercher des explications plus ou moins rationnelles telles qu’une cabale des fameux Illuminati, une conjuration des Sages de Sion, une machination de quelque fraternité secrète ou autre loge initiatique, ou même un complot d’extraterrestres un peu farfelus en mal de divertissements ? En réalité, on peut faire dire tout et n’importe quoi aux chiffres. En divisant par exemple la distance qui sépare la Terre de la Lune (384400km) par le nombre 333 on obtiendrait, dit-on, l’âge du capitaine Crochet ! On voit par-là qu’il vaut mieux ne tenir que peu de "contes" de ces approximations numérologiques.

Toutefois, vous qui, comme 33% des Français qui partiront en vacances vous rendrez sur les plages des Pyrénées-Orientales ou des Alpes-Maritimes après avoir confié vos trois enfants de 3, 6 et 9 ans à leur jeune grand-mère de 66 ans, restez tout de même prudents. On ne sait jamais…

(* Guillaume le Conquérant, Paul Zumthor, éd. Taillandier, 2003. On peut lire également les jours de pluie et dans le même ordre d’idée Le Matin des Magiciens de Louis Pauwels et Jacques Bergier, éd. Gallimard, 1960)

 

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Ils sont déjà là !
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