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Chroniques d'un vieux bougon
3 février 2011

Les yourtes

"Il pleuvait sans cesse sur Brest, ce jour là", remarquait Jacques Prévert à la recherche de Barbara. "Il pleut sur Nantes", précise Barbara à la recherche de son père. Il pleut aussi sur les Monts ce matin et Adèle se hâte à la recherche d’un abri. Elle a horreur d’être mouillée. En trois bonds, elle est à la porte et miaule à fendre l’âme pour que je lui ouvre. Je décide de rester, comme elle, calfeutré dans la tiédeur douillette de la maison.

Là-bas, aux portes d’un hameau perdu à l’adret des Monts, la pluie tombe drue sur le toit rond des yourtes des "marginaux". Tandis que défilent les paysages des "steppes de l’Asie centrale" d’Alexandre Borodine, je songe à ces familles blotties sous ces abris venus des lointaines Mongolies. D’où viendrait donc leur différence ? Leur "marginalité" si décriée dans leur village ?

« Manger bon et sain ! », expliquent-ils dans leurs libelles. Mais comme mes voisins et les voisins de mes voisins, je cultive moi aussi dans mon jardin potager la plupart des légumes que je consomme. Dans des bidons de plastique, ils puisent l’eau directement à la source. Moi c’est celle de mon puits, à l’aide d’un seau tout cabossé d’avoir tant servi depuis plusieurs générations. « Nous vivons beaucoup à l’extérieur pour jouir de tous les plaisirs de la nature ». Je ne me réfugie guère dans ma maison que lorsque, comme écrit Charles d’Orléans, le temps répand son manteau de vent, de froidure et de pluie. Ils s’éclairent à la bougie pour n’avoir pas à se connecter à une centrale nucléaire. Il m’arrive de devoir suppléer à cette fameuse fée électricité avec la vieille lampe à pétrole héritée de mes parents. D’où vient alors leur "différence" ? « Nous ne pouvons supporter la vie citadine si bruyante et si polluée. » Nous sommes nombreux dans les fermes, hameaux et villages des Monts à partager cette aversion. S’il m’arrive de "monter à la ville", je préfère bien respirer le bon air de mes arbres, entendre le murmure des ruisseaux et le chant des oiseaux. Ah les trilles du rossignol, à la vesprée ! Qu’elle est donc leur différence ? De leurs abris venus d’ailleurs ? « J’aime l’intimité que procure la yourte, sa rondeur me rassure », explique-t-elle à la télévision.  J’avoue savourer tout autant le confort simple de ma maison. « Lorsque nous partirons, nous ne laisserons pas de traces. » Je tiens ma maison, c’est vrai, de mes parents qui la tenaient eux-mêmes de leurs parents et c’est là plus qu’une trace, c’est un ancrage dans une terre, un terroir. Leur marginalité ne tiendrait-elle qu’à une notion de propriété ? Voilà un fil bien mince et bien ténu ! Bien des habitants des Monts ne sont pas propriétaires de leur maison ! D’où vient alors le rejet dont les  "marginaux", comme ils disent, sont l’objet auprès de nombreux habitants de leur village ? La peur d’une fausse différence ?

Les lamentos des violons slaves de Borodine ont quitté les steppes depuis longtemps. Les flammes, dans l’âtre, avivent les reflets roux de la toison d’Adèle. Dehors, il pleut sans cesse sur les Monts. (© Roland Bosquet)

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