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Chroniques d'un vieux bougon

23 février 2024

Le complot de la laitue, 27 février 2015.

laitue

Hier,comme chaque jeudi ou presque, je me rends à la Grande Médi@thèque de la Ville pour renouveler ma provision de littérature lorsque je reconnais, diffusée par une radio du service public, la voix d’un philosophe de belle renommée tentant de convaincre son auditoire de l’inanité des fameuses théories du complot. On ne peut généralement prouver quoi que ce soit, dit-il en substance, mais on ne peut jamais prouver le contraire non plus. « En fait, conclut-il, ce phénomène relève essentiellement de la croyance. Un esprit cartésien ne devrait pas s’y laisser entraîner ».

Notre philosophe tous terrains a probablement raison. Nourri depuis l’enfance au lait de la pensée logique, comment se fait-il que l’esprit de certains de nos concitoyens s’égare ainsi par ces sentiers obscurs de l’irrationnel ? Et pourtant ! Même si le fait est demeuré confidentiel, et on comprend pourquoi, nous avons probablement échappé à terrible complot visant rien de moins que la destruction de notre belle civilisation occidentale par empoisonnement au mercure.

L’intrigue fut révélée tout à fait par hasard à l’occasion d’un simple contrôle de routine dans une modeste épicerie-primeur de quartier. L’adjointe de l’inspecteur, une jeune fille de bonne famille sortant à peine des écoles, prélève quelques feuilles sur un pied de laitue ordinaire présenté à la vente. Les analyses signalent un taux résiduel de mercure dépassant largement les normes européennes admises. L’affaire se serait sans doute soldée par un avertissement au boutiquier sous promesse de ne pas recommencer. Mais le "fiancé" de notre aspirante contrôleuse milite avec ferveur dans une association écologique locale. Informé par son amie à l’issue d’une nuit à la fois tendre et tumultueuse, il alerte ses connaissances. Elles mènent l’enquête.

Il s’avère que le lot de salades provient d’un entrepôt tout à fait anodin, à ceci près que les responsables refusent étrangement de répondre aux interrogations de nos limiers. Ces derniers établissent dès lors des quarts de surveillance des locaux et des filatures discrètes des personnels, fournisseurs et autres livreurs. Une piste se montre prometteuse. Le sous-directeur joue au poker chaque samedi soir dans une vaste demeure retirée dans la campagne solognote. Après consultation des cadastres, nos détectives apprennent que le propriétaire n’est autre qu’un intermédiaire du commerce international dont le nom a été cité à plusieurs reprises dans la presse au sujet d’une sombre affaire de transferts plus ou moins louches de métaux de réforme. Mais l’entreprise de transport qui les assurait a opportunément déposé le bilan quelques jours avant que la justice ne s’intéresse à elle, entraînant l’extinction des procédures et la clôture du dossier. Or il se trouve que l’un de ses dirigeants serait un proche de notre gentil épicier.

Hélas, lorsque nos enquêteurs se rendent à son échoppe dans le but de le soumettre à la question, ils trouvent rideau baissé. Renseignements pris auprès des voisins, les murs appartiendraient à un consortium suisse. Le syndic de l’immeuble accepte, sous couvert de l’anonymat, d’en chuchoter le nom de l’administrateur général : Aimé-Paul Lessages de Sion. Chacun a lu le nom ou entendu parler au moins une fois dans sa vie de ce Lessages de Sion. Les puissants tremblent lorsqu’on le murmure à leur oreille : il leur dicterait leur conduite. Mais où est le complot ? demande le naïf tout juste sorti de sa campagne profonde. Selon le président de l’association écologique, la laitue romaine avait été choisie parce qu’elle décore tous les couverts servis dans tous les restaurants de France et de Navarre, qu’ils soient modestes ou étoilés. Le poison trouvant ainsi sa plus large diffusion.

Devrons-nous désormais nous méfier de la feuille de salade qui orne immanquablement nos assiettes ? Faute de preuves tangibles, le monde poursuit sa marche tranquille sur les chemins de son futur.

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16 février 2024

Kopfertami et busoquer.

teurgoule

Les climatologues sont formels. Les températures qui sévissent actuellement sur nos régions son plus élevées que la moyenne "normale" et de ce fait délétères. Elles relèvent du réchauffement climatique si nocif pour la nature en général et pour l’homme en particulier. L’apocalypse est en marche. Toutefois, profitant éhontément de la clémence des cieux et malgré un plafond de nuages gris et rébarbatifs, un groupe de marcheurs arpente ce matin le chemin de randonnée qui longe mon courtil.

Engloutis sous leur capuche, ils remarqueront à peine les premières fleurs des pommiers du japon qui pointent dans les haies et les perce-neiges, primevères, et autres crocus qui commencent à éclairer les talus. Et leur babillage incessant ne dérangera guère les moineaux, merles, écureuils et lapins sauvages blottis au creux des branches des châtaigniers et des fayards, au fond de leurs terriers ou sous les feuilles mortes au pied des buissons. Car ils parlent ! Ils parlent, ils parlent, ils parlent sans même prendre le temps de respirer ! On se croirait au milieu d’une assemblée de députés en séminaire.

Or il s’agit manifestement, ce matin, d’une cohorte de sujets de sa majesté d’Outre-Manche, le roi Charles le troisième. Sous la grisaille toute britannique qui recouvre la campagne, ils partagent ainsi en toute quiétude les charmes vénéneux de la nostalgie des jours heureux d’autrefois lorsque, encore en bonne santé, le prince de Galles suivait pas à pas sa royale mère. Bienvenue donc à ces Grands Bretons qui ne font guère, en définitive, que mettre leurs pas dans ceux de leurs ancêtres qui nous ont si souvent envahi. Mais peut-être n’est-ce que par pure vengeance de leur part pour la hardiesse de notre glorieux Guillaume le Conquérant qui, depuis sa douce Normandie, se rua, en 1066, sur les terres de leur roi Harold ! Mais nous sommes aujourd’hui en paix et en bonne entente cordiale. Nous les accueillons donc avec un grand "welcome" dans le sourire. Nous leur feront toutefois un reproche : pourquoi s’expriment-ils en étranger ? Pourquoi ne parlent-ils pas en français comme tout le monde ?

On dit communément que les Français sont peu doués pour les langues étrangères. C’est du moins ce qu’ils disent d’eux-mêmes car les étrangers disent ouvertement qu’ils sont en réalité relativement nuls. Mais la langue française étant d’évidence la plus belle langue du monde, on ne voit pas pourquoi ils en parleraient une autre. N’ont-ils pas d’ailleurs mis près d’un siècle à l’adopter définitivement ? Car, il y a cent ans encore, les Alsaciens parlaient l’alsacien, les Ch’tis parlaient le ch’ti, les Bretons parlaient le breton, les Poitevin parlaient le poetou, les Aveyronnais parlaient l’occitan, les Niçois le nissart et les Franciliens le pointu. Grâce au rude acharnement des hussards de la République d’antan, la langue parlée entre les quatre côtés de notre bel hexagone est désormais le parisien.

Certes, on cause de plus en plus en anglais dans notre Grande Capitale. La faute en revient manifestement aux touristes. Chinois, Américains, Japonais ou encore Coréens renoncent à leur langage autochtone pour s’exprimer en anglais dans l’espoir de se faire comprendre du garçon de café lorsqu’ils sollicitent un "coca", la boisson universelle de tous les pays du monde. Mais ce dernier résiste, n’hésitant pas à afficher une mine renfrognée quand ce n’est pas une sourde oreille lorsqu’il entend un babil étranger. Les présentateurs de la Télé eux-mêmes, sans doute incités par leurs "managers", mettent un point d’honneur à ne nommer qu’en anglais les aspects négatifs du "marketing" : green bashing, shrinkflation, increase prices par exemple. Poussés par la furieuse "battle" qui les oppose entre eux, certains se refusent même à traduire. En revanche, on discerne mal les intentions réelles des fabricants de "spots" publicitaires lorsqu’ils tentent de séduire la "housewife under 50" avec leurs "dream-cruise", "anti-aging cream", "great pans" "revolutionaries" et autres "pack", "sun", "finish" et "krupps", tous bien sûr "hypoallergenic".

Quoi qu’il en soit, nous autres franchouillards plus proches de Michel Audiard que de Victor Hugo ou de Marcel Proust, nous ne nous laisseront pas innocemment envahir une fois de plus par ces charabias venus d’ailleurs. Les "t’yes fada je crains degun" marseillais, les "cogne mou" et "frouilleur" lyonnais, les "kopfertami" alsaciens, les "biloute" chtis et autres "busoquer" normands qui suivent le calendos, la teurgoule et sa fallue et le petit fond de calva résisteront encore longtemps.

9 février 2024

Ancestral ?

Menton

Entendu évoquer une tradition ancestrale à propos de la fête du citron de Menton. Or n’est tout de même pas ancestral qui veut. Il faut du temps pour pouvoir y prétendre. Beaucoup de temps. Lorsque j’étais écolier, le livre d’Histoire parlait de nos ancêtres les Gaulois, ces redoutables guerriers qui osèrent affronter les implacables légions romains mais qui se coiffaient de casques ornés de crêtes incroyables parce qu’ils craignaient que le ciel ne leur tombe sur la tête. On se souvient qu’ils durent hélas s’incliner à Alésia en dépit du courage de leur chef arverne, Vercingétorix. Or cette terrible bataille remonte à plus de deux millénaires. On peut donc bien parler d’ancestrale défaite.

Depuis ce jour funeste mais comme depuis toujours en réalité, le temps prendra son temps pour aligner les années et les siècles. Les saisons succéderont aux saisons, les guerres contre les Anglais aux guerres contre les Anglais et les rois aux rois sans que rien ne bougeât vraiment. Le paysan, par exemple, cultiva son champ de la même manière que ses ancêtres du fameux Croissant Fertile et ce jusqu’au second empire de Napoléon III. Le temps allait alors de son train de sénateur. Mais on apprit un jour à maîtriser la force de la vapeur et là, vraiment, tout s’accéléra.

Né au début du siècle dernier, mon père travailla d’abord sa terre comme son père et son grand-père l’avaient fait avant lui, atteler ses chevaux devant la charrue, couper le foin et le blé à la faulx et les charger sur la charrette tirée par un cheval pour les engranger dans le grenier et les hangars. Mais la Gazette Normande lui révélera bientôt que de vastes inventions transformaient le quotidien des jours. On y lit, chose incroyable, que non seulement des fous se sont pris pour des oiseaux à bord de machines aussi improbables que brinquebalantes mais que l’aviation elle-même fut déterminante dans la victoire des alliés en 1918. Lui qui s’était toujours déplacé à bicyclette ou à cheval prendra le train à vapeur pour atteindre Cherbourg et y effectuer son service militaire. Il essuiera même les embouteillages de voitures automobiles en rejoignant le casernement de son régiment d’Infanterie de Marine. Il avait toujours connu les cuisines éclairées à la lampe Pigeon. Il découvre des chambrées éclairées à l’électricité.

Plus tard et à son retour de son séjour forcé comme prisonnier de guerre dans une ferme en lisière de Poméranie, il apprend par Ouest-France que non seulement les Allemands avaient arrosé le ciel londonien de fusées destructrices mais que les Américains ont fait explosé deux bombes atomiques au-dessus du Japon. Grâce aux progrès de la miniaturisation et aux transistors, il peut désormais écouter Radio Luxembourg et les aventures de la famille Duraton sur son poste radio Grundig qu’il déplace de la cuisine à la salle à manger. Il regarde parfois la télévision chez l’oncle qui a même le téléphone. Il achètera bientôt un tracteur pour remplacer ses deux chevaux devenus trop vieux. Il aura toutefois beaucoup de mal à accepter l’idée que des satellites tournent autour de la Terre et plus encore que des Américains se sont posés sur la lune. Comment le lui reprocher ? Tout est allé si vite depuis son enfance.

Mais que dirait-il d’aujourd’hui ? Les découvertes et les inventions qui ont émaillé sa vie se sont certes répandues partout dans le monde. Les avions sillonnent l’atmosphère en tous sens, les satellites tournent sur leur orbite et des sondes interstellaires traversent l’espace jusqu’aux confins de notre galaxie. Mais pas de nouvelle pénicilline qui révolutionnerait les soins médicaux. Et si le téléphone portable modifie en profondeur nos liens sociétaux, il n’est jamais qu’un perfectionnement de plus de ce qui existait déjà.

Deux véritables innovations pourraient toutefois changer le monde et nos quotidiens autant que celles de la première moitié du siècle précédent.  On a mis au point une nouvelle méthode pour fabriquer rapidement des vaccins et elle a fait ses preuves lors de la pandémie de Covid. Et l’arrivée de ce que l’on appelle l’Intelligence Artificielle pourrait à son tour bouleverser nos procédés de fabrication des multitudes d’objets indispensables à notre "objetivite" aigüe mais aussi et surtout nos manières de penser l’avenir qui, comme disait Pierre Dac, n’est jamais qu’un présent en préparation sur la base d’un passé encore inachevé. Mais il faudra encore bien du temps avant qu’elles ne deviennent ancestrales.

2 février 2024

Visite en Wokistan.

wokistan

Il m’aura fallu trois quarts de siècle pour que l'on me reproche, par une invective cinglante, l’horrible nocivité de la masculinité de mon genre et de la blanchitude de mon teint. Ne m’en sentant nullement responsable, je les avais jusqu’ici vécues dans l’indifférence la plus totale. Au départ, jamais personne en effet ne m’a laissé un quelconque choix. Tout comme pour les jours et mes lieux de naissance et ma naissance elle-même. Et je subodore que mes propres parents n’y ont guère songé non plus au moment fatidique. Comme tous les mammifères depuis des centaines de millions d’années, ils ont pris comme ça vient. C’est comme ça ! On n’y peut rien ! Dieu ou le Hasard y sont peut-être pour quelque chose mais en aucune façon ni eux ni moi ! Il n’en reste pas moins que l’autre jour et au sortir d’une "rencontre" avec un parterre d’étudiants en littérature contemporaine, une gamine* d’à peine 20 ans m’a reproché d’être un "indécrottable mâle blanc" !

Choisissant la prudence, j’évitai, en guise de réponse, d’évoquer mes ancêtres normands qui, en compagnie de Guillaume Le Conquérant, ont colonisé l’Angleterre puis, en compagnie de Tancrède de Hauteville, le sud de l’Italie et la Sicile. Elle et ses acolytes auraient ajouté à mes incorrigibles tares celle d’être, en plus, un abominable dominateur. N’avais-je pas en effet mentionné Marcel Proust à plusieurs reprises dont, croyant bien faire et dans l’objectif d’apporter un peu de légèreté à mon propos, plusieurs passages empreints d’un humour parfois féroce mais toujours subtil et raffiné. Lambert Wilson* lui-même en a réunis quelques-uns et constitué ainsi tout un spectacle de belle tenue. Certes, il est vrai que du haut de sa tour d’auteur incontournable, Marcel Proust domine largement la littérature du vingtième siècle. Mais nous autres, écrivaillons de base, devrions-nous pour autant, comme notre petite demoiselle, nous considérer comme des victimes ?

Outre les descriptions mi-figue mi-raisin des habitués du salon de Madame de Guermantes, notre amateur de madeleines aimait par ailleurs à citer ici ou là les compositeurs de son temps tels César Franck ou Gabriel Fauré. En un mot, une musique dite classique non seulement écrite par des blancs notoires, Bach, Beethoven, Mozart, Brahms ou Rachmaninoff par exemple, mais réservée de plus, par sa complexité même, à une élite intellectuelle inévitablement perchée dans les hautes sphères de la société. J’admets humblement que je goûte peu les chaînes de radio telles qu’Énergie ou autres Skyrock, qui n’ont guère pour seul mérite que de coller à la mode imposée par les industries musicales et leur préfère France-Musique comme les 1,40% d’auditeurs français. Comment dès lors prétendre qu’ils occupent, que nous occupons, une position dominante ?

Je laissai donc là la révolutionnaire de poche empoisonnée par les potions des charlatans du Wokistan qui prétendent défendre les discriminés de tous bords et poursuivis ma route vers Nantes. Le quatuor Modigliani et Schubert m’y attendent à la salle Cantabile et Anne Queffélec avec Beethoven à la salle Arpeggione. En toute modestie bien sûr, en dépit de leur immense talent ouvert à toutes et à tous jusqu’aux plus humbles amateurs, qu’elle que soit leur taille, leur âge ou leur couleur de peau.

Mais nos amis les agriculteurs ont déjà rendu difficile l’accès à la capitale poitevine. Bloqueront-ils celui de Nantes ?  

(* Il me faut préciser ici que l’apparence de la jeune demoiselle en question laisserait à penser qu’elle est plutôt issue de cette aimable bourgeoisie poitevine bien pourvue en héritages  sonnants et trébuchants. *Un humour de Proust, Lambert Wilson avec Jean-Philippe Collard et/ou Augustin Dumay.)

26 janvier 2024

L2024. Arrêtons le massacre.

L2024

Ciel bouché jusqu’à tierce, maigre soleil ensuite, masqué par un fil de nuages qui s’épaississent dès none. Températures ressenties, comme ils disent, en-dessous des normales saisonnières la nuit et au-dessus à sixte. Où est le paradis promis par le réchauffement climatique ?

Certains paléontologues s’accordent toutefois à penser que la notion de jardin d’Eden ne relèverait peut-être pas de la légende biblique. Des climatologues estiment en effet qu’il y a, environ, 3,5 millions d’années, la région du Botswana actuel aurait pu correspondre à l’idée que l’on s’en fait. Hélas, une modification du climat aurait pu pousser ses premiers occupants à émigrer vers des terres plus hospitalières. C’est à cette période en effet que l’on trouve les plus anciens outils de pierre qui impliquent une mutation dans les pratiques. Les généticiens estiment quant à eux que c’est à cette même époque que les hominidés qui donneront par la suite naissance au genre Homo, se séparèrent en deux branches. Ceux que l’on appellera bien plus tard les Homo Erectus puis Sapiens se seraient dirigés vers le nord-ouest, l’actuel Angola, et ceux dits Paranthropes vers l’est et l’actuel Zimbabwe. L’humanité que nous connaissons aujourd’hui descendrait des premiers, nomades chasseurs-cueilleurs toujours en quête d’une herbe plus verte ailleurs et, surtout, de nourriture pour survivre. Les seconds, demeurés attachés à leurs habitudes de grands singes, auraient continué à se nourrir de fruits, de feuillages et de racines. Les rares traces qui ont pu en être étudiées, notamment des dents qui ont permis de reconstituer leur régime alimentaire, ne descendent pas au-dessous de 2,5 millions d’années. En un mot, ils auraient totalement disparu.

Or, certains humains d’aujourd’hui semblent vouloir reconstituer cette population et militent ardemment pour que leurs recettes reviennent au goût du jour. D’où le fameux slogan des cinq fruits et légumes. Mais c’est oublier, d’une part, que cette lignée de végétariens a jadis été purement et simplement éliminée par la nature elle-même et, d’autre part, négliger les souffrances imposées à ses fruits pour le plaisir futile d’être à la mode.

Il faut en effet rappeler que les légumes, par exemple, sont aujourd’hui brutalement arrachés à leur terre nourricière dès avant le lever du jour sans qu’il ne soit jamais tenu compte de leur période de repos ou en plein soleil alors qu’ils se gorgent avec gourmandise de lumière et de photosynthèse, brutalisés à coups de bêche, de fourche ou de couteau à la lame plus ou moins rouillée quand ce ne sont pas des mécaniques insensibles et sans âme, entassés dans des cageots eux-mêmes entassés par milliers dans des camions réfrigérés et enfermés de longues heures dans l’obscurité, brinqueballés par tous les temps d’un entrepôt à l’autre, jetés sans ménagement sur les étals des marchés dans le froid piquant de l’hiver ou jetés en pâture dans des présentoirs à la vue concupiscente des ménagères, estimés, tâtés, soupesés, rejetés ou enfournés dans des sacs en plastique puis dans des "caddies" ou des cabas, déposés sans ménagement sur des paillasses de cuisine, épluchés pour en ôter la peau protectrice ou les éléments fanés, défraîchis ou simplement détériorés par toutes ces manipulations, lavés sous l’eau javélisée du robinet, coupés, divisés, sectionnés, morcelés, tranchés, taillés, émincés, hachés puis plongés sauvagement dans l’eau bouillante d’une cocotte ou d’une casserole avec une pincée de sel ou dans l’huile de colza d’un wok au polytétrafluoroéthylène, retournés, malaxés, mixés et déposés platement dans des assiettes en guise de vulgaire garniture à une belle tranche de faux-filet ou à une cuisse de poulet de Bresse puis distraitement ingérés entre deux gorgées de Château-Brion 2017, mâchés, broyés, écrasés, avalés et mélangés à d’affreuses potions soi-disant énergétiques à base de plantes pour faire authentique, digérés par les terribles acides chloridriques qui les brisent, les cassent, les disloquent, les désarticulent, jusqu’à les réduire à de rudimentaires nutriments qui seront plus ou moins bien absorbés par des organismes affamés avant de se voir rejetés, exsangues et anémiés, avec les selles dont les circuits ...

Voilà, en un mot, le sort peu enviable qui attend poireaux, laitues, carottes, choux, salsifis, et autres pommes de terre et topinambours lorsqu’ils ont la malchance de tomber entre les mains des êtres humains. Alors, de grâce, arrêtons le massacre !

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19 janvier 2024

Polémique.

polemique

Polémique, hier matin, au bureau de tabac-presse-dépôt de pain du village. On se serait cru sur l’un de ces plateaux de télévision si friands de débats sans fin à propos de tout et de rien afin de combler les temps morts entre les publicités, grandes pourvoyeuses de rentrées financières. Mais point, ici, de maîtres philosophes ni autres intellectuels médiatiques. Ils rechignent en général à salir leurs coûteuses "sneakers" dans la gadoue des campagnes qu’ils ont depuis longtemps désertées. Point non plus d’experts en tout. Ils réservent leurs interventions rémunérées aux grands faits de société comme le réchauffement climatique, les sécheresses et les inondations ou la guerre qui sévit un peu partout dans le monde. Ne sont présents ici, au milieu des livres et des journaux, que des gens ordinaires comme vous et moi emmitouflés dans leur canadienne hors d’âge et bottés de caoutchouc comme s’ils vaquaient dans leurs champs ou leur jardin potager.

Lorsque je pousse la porte en m’ébrouant, heureux d’échapper pour quelques instants aux froidures hivernales, je suis littéralement happé par le tumulte. Au point que je perçois à peine le cri de la tenancière fixant d’un regard réprobateur mes chaussures de marche crottées de boue : les pieds ! Je ressorts, râcle consciencieusement mes semelles sur le ciment et rentre. Les conversations ne se sont hélas pas calmées pour autant. La pharmacienne, en opposition perpétuelle avec l’équipe municipale, apostrophe de sa voix perçante la jeune compagne du garagiste qui vient de s’installer avec lui dans l’appartement au-dessus de l’atelier et qui n’en peut mais. Vous trouvez ça normal, vous, que le prix des fraises ait pratiquement triplé en deux mois ? Elle n’en sait rien, la pauvre. Il ne lui viendrait même pas à l’esprit d’en poser une barquette sur la table lorsque son homme consent enfin à abandonner ses vidanges et autres rafistolages de vieilles guimbardes de paysans retraités qui ne circulent plus guère que par les chemins de terre et les allées forestières.

Qu’importe, de toute façon, puisque c’est la mère du boulanger parti aujourd'hui vers des cieux plus cléments qui répond par une autre question adressée à notre ancien professeur d’université reconverti en dernier adjoint au maire. Vous leur avez appris quoi, à nos jeunes ? Ils ne savent même plus rédiger une étiquette en bon français. On y voit des oranges de Corse cultivées en Grèce, muries au Mexique malgré leur "origine France" inscrite en bleu-blanc-rouge ! Et l’algarade d’exploser du côté des alignements occupant tout un mur de magazines aux couleurs aguichantes par l’apostrophe acrimonieuse du précédent secrétaire mairie qui ne manquerait pas une occasion de remarquer que, décidément, c’était mieux avant et dressant du poing levé le dernier numéro de la Revue du Chasseur : t’as pas encore reçu celui de janvier ?

Je tente de me faufiler discrètement vers les corbeilles de pain mais je dois, pour les atteindre, contourner l’épouse du Garde Champêtre, bien que ce titre n’existe plus dans la nomenclature communale. Surveillant son cabas rempli de légumes posé sur le sol, elle explique à sa voisine son indignation devant le coût, exorbitant selon elle, des poireaux bios dont elle vient de faire l’emplette sur le marché. Refusant de donner corps, une fois de plus, à ma réputation de vieux bougon, j’essaie alors d’intervenir en douceur. Vous savez que la part de nos étalages locaux ne représente plus qu’à peine 8% du marché global ? Prises de court, les deux interlocutrices se regardent avec étonnement. Mais avant qu’elles ne reprennent la parole et pour profiter du silence qui s’abat d’un coup, je persiste à faire mon savant : de toute façon, le bio ne représente chez nous que 7 à 8% des ventes de fruits et légumes. Il est bien trop cher pour les petites bourses !

Alors, si j’ai bien compris, résume le mari de la patronne qui milite depuis toujours avec les syndicats, les producteurs de bio, ils travaillent en fait pour les 10% les plus riches !

12 janvier 2024

Livres. Raviver l'esprit.

fran_ois_jullien

Les fêtes sont passées, les sapins sont descendus sur le trottoir ou déposés à la déchetterie et les fameux Melchior, Gaspar et Balthazar célébrés à coup de frangipane parisienne ou, plus rarement hélas, de vraie brioche des Rois si goûtue et si riche en arômes et en fruits confits. Les enfants qui ont croqué la fève en porcelaine et coiffé la couronne de carton doré sont presque aussi nombreux que ceux qui ont découvert dans leur sabot le dernier smartphone à la mode ; ils pourront, enfin, jouer aux adultes. Ne les y voient-ils pas perpétuellement plongés de peur de "passer à côté" de quelque message sans intérêt, de vidéos aux prétentions humoristiques ou d’informations définitivement inutiles venues du bout du monde ? Ils pourront désormais ignorer leurs sollicitations autant que leurs parents ignorent leur présence. « L’exagération de tous les moyens de communication soumet l’esprit à une agitation et une nervosité généralisée », écrivait déjà Paul Valéry* en 1939.

Se rengorgerait-il aujourd’hui d’avoir eu raison avant tout le monde ou serait-il abattu par un terrible AVC au spectacle des innombrables zombies déambulant par les rues écouteurs dans les oreilles et totalement absents à leur entourage ? Certes, l’affaire n’est pas nouvelle. L’arrivée de la télévision déclencha en son temps de semblables inquiétudes. Günter Anders* ne prévoyait-il pas que chaque foyer n’aurait plus désormais d’autre préoccupation que de contenir le déferlement du monde extérieur au cœur même de l’intimité familiale ? Mais les conséquences de cette nouvelle addiction semblent aujourd’hui déborder, et de loin, les précédentes au point que cette pixellisation à outrance de nos existences risque de nous conduire tout droit vers une triste "légumisation".  Ce pléonasme hardi n’est certes guère engageant ; il sonne mal aux oreilles comme à l’entendement et heurterait le goût musical le moins élaboré mais il renvoie immédiatement à la vision désolante des poireaux, choux pommés et autres brocolis frappés par le gel et décrit ainsi trop bien ce qui nous menace. Dans un monde saturé d’écrans toujours plus fascinants et rythmé par des clics devenus compulsifs, l’esprit ne produira bientôt plus que de la bouillie indigeste.  Au risque de se liquéfier demain face à cette scintillation échevelée des sollicitations.

C’est ce que craint le philosophe François Jullien. Comme tous les acteurs de la filière du livre, il constate le déclin de la littérature. Les jeunes fréquentent encore les médiathèques, cet intitulé à lui seul montre déjà que celui de bibliothèque n’attire plus guère. Ils parcourent encore les extraits de livres prescrits comme par ordonnance par leurs professeurs de français.  Mais passé, et obtenu pour 95% d’entre eux, le baccalauréat, ils rangent les Flaubert, Victor Hugo et autres Mauriac et Philippe Sollers dans des malles remisées au grenier. La presse écrite elle-même ne survivrait pas sans les apports réguliers et à fonds perdus de milliardaires en mal d’influence et de notoriété.

En un mot, ils se rabattent, comme on rabat un troupeau de moutons vers sa bergerie, sur des distractions "en ligne" autrement plus attrayantes que d’inertes feuilles de papier fussent-elles imprimées. L’attention et le raisonnement s’étriquent peu à peu et se resserrent, comme s’étrangle un liquide que l’on verse dans un entonnoir, avant de s’engouffrer d’un même pas d’automate dans les chemins tout tracés de la facilité et de la complaisance. Là où la hauteur d’esprit n’est plus guère qu’un maigre nuage d’été caniculaire que la sécheresse environnante va définitivement stériliser.

À moins que de nouvelles technologies ne le libèrent de ces carcans délétères qui l’emprisonnent et ne lui rouvrent les espaces infinis de l’imagination et de la créativité ! Sait-on jamais ? On dit de plus en plus qu’il faut se rebeller contre l’actuelle vague de noirceur qui s’insinue jusque dans les rouages les plus secrets de nos vies et demeurer positif. Alors, positivons !

(*Philosophie de la danse, Paul Valéry, éditions Allia / *L’obsolescence de l’homme, Günter Anders, éditions de l’Encyclopédie des nuisances / La Vie spectrale, Éric Sadin, éditions Grasset / Raviver l’esprit du monde, François Jullien, éditions de L’Observatoire / Remerciements à Etienne Klein pour son éditorial paru dans l’Express du 30 novembre 2023 qui a, involontairement, inspiré ce charabia maladroit.)

4 janvier 2024

L'homme qui voulait vider la mer.

vider_la_mer

Vivre en lisière des prairies et des bois ne signifie pas pour autant vivre en totale autarcie. Il est des circonstances où le campagnard invétéré se voit contraint de sortir son automobile à pétrole de sa grange pour se rendre ici ou là. C’est ainsi que je gagne, ce matin-là, le bureau de poste de la ville voisine. Le ciel vient tout juste de libérer une belle averse, remplissant généreusement la collection de nids de poule qui illustrent, ça et là, la chaussée et deux bambins accompagnés de leur mère de s’y jeter à pieds joints. Les éclaboussures jaillissent dans des panaches éblouissants, la mère se récrie et se précipite et leurs rires dessinent des circonvolutions ésotériques autour des platanes dénudés. L’être humain est en effet attiré par l’eau depuis la nuit des temps et les femmes au bain ont inspiré nombre de peintres comme les Suzanne et Bethsabée de la Bible ou la Diane chasseresse de la mythologie romaine.

Il y a environ 2250 ans en la bonne ville de Syracuse, Arkhimdês de Sicile décide de se reposer d’une longue nuit de veille à la recherche des formules savantes qu’on lui connaît. Son vieux serviteur a rempli la baignoire d’une eau tiède et parfumée, son esclave favorite le débarrasse de sa tunique en babillant comme à son habitude et il s’avance d’un pas lourd sur le carrelage de belle faïence bleue aux motifs tarabiscotés. S’appuyant d’une main sur l’épaule de la jeune femme, il plonge son corps tout entier au milieu des effluves de marjolaine et de fleurs d’amandier. Las, emporté par son élan, le vieil homme a versé de pleins baquets d’eau jusqu’à ras bord et une grosse vague s’élève avant de retomber sur le sol. Chacun de s’écrier. Seul Archimède lâche un grognement de satisfaction avant de clamer son fameux εὕρηκα ! Il vient de découvrir que tout corps plongé dans l’eau subit une poussée verticale vers le haut égale au poids du volume déplacé.

Mais le goût pour ces bains individuels se perdra au fil du temps et Louis XIV lui-même ne consentira à plonger sa royale carcasse dans l’eau que sur ordonnance du bon docteur Fagon. Il faudra attendre la Révolution française pour que l’on reparle de baignoire. Depuis le 3 juillet 1793 en effet, le député Jean-Paul Marat ne se rend plus à la Convention où il siège. Sa maladie l’en empêche. Il souffrirait en effet d’une dermatite séborrhéique, une affection de la peau qui provoque de terribles démangeaisons et de douloureux ulcères. Pour en apaiser les ardeurs, il passe pratiquement ses journées dans sa baignoire remplie d’eau soufrée. Jusqu’à ce jour fatal et à la veille de célébrer l’anniversaire de la prise de la Bastille, où il reçoit la ci-devant Marie-Anne Charlotte de Corday d’Armont qui veut l’entretenir d’un prétendu complot. Au bout d’un quart d’heure, la perfide visiteuse sort un couteau de sous ses jupons et frappe la poitrine du malade déjà perclus de douleurs. La lame transpercera le poumon droit, sectionnera l’aorte et percera le cœur, ne laissant aucune chance à sa victime.

Le principe du bain ne pâtira toutefois guère de cette vilaine publicité et nombre de coquettes accueilleront ainsi leurs prétendants dans une débauche de falbalas et de draperies de satin. Mais au début du vingt et unième siècle, le réchauffement climatique et sa maîtresse, la sécheresse, offriront à l’ADEME l’occasion de calculer qu’un bain moyen requière au moins 200 litres d’eau potable alors qu’une simple douche en gaspille à peine 70. La mode est donc, dorénavant, au jet d’eau parcimonieux dans une simple cuvette, comme autrefois dans les foyers modestes.

Cependant et bravant les dictats écologiques, un homme par ailleurs tout à fait ordinaire choisit, ce soir de 31 décembre, de se délasser dans un bain odorant. Nulle main ne vient ôter avec tendresse sa robe de chambre de célibataire et c’est d’un pied las qu’il s’immerge. Par gaucherie sans doute, il bouscule un flacon de sels qui tombe et flotte avec langueur sur les vaguelettes de mousse. Exaspéré, il abandonne un juron, arrête là ses ablutions et vide sa baignoire d’un geste rageur. Après quelques remous, le flacon touche bientôt le fond et l’image des déchets de plastique flottant eux aussi à la surface des océans illumine d’un coup la fatigue de notre maladroit. Et si l’on parvenait, se dit-il, à vider la mer, il deviendrait plus facile de la débarrasser de ces continents de détritus qui la polluent ! Mais comme il sait pertinemment que ce serait beaucoup trop long avec une petite cuillère, il prend la résolution de consacrer l’année qui vient à la recherche de la grande bonde générale qu’il suffirait alors de soulever pour libérer les grands fonds et les nettoyer.

La morale de ce conte d’aujourd’hui est que chacun peut, à sa manière et même modestement, œuvrer à sauver notre planète !

1 janvier 2024

Voeux pour 2024

L’année 2023 ne fut pas toujours réjouissante. Souhaitons que celle qui s'engage se révèle plus douce et plus aimable , qu’elle déborde de bienveillance et d’amour et qu’elle sublime, en un mot, nos plus belles espérances.

Et pour la commencer sous les meilleurs auspices, pourquoi ne pas lire mon nouveau roman, Quatre d’un coup…

 

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Paris le 18 octobre 2022 en milieu d’après-midi. Au cours de la manifestation de la place d’Italie à la place Vauban organisée par le syndicat La Centrale, quatre "blacks-blocs" sortent de l’agence bancaire qu’ils viennent de saccager et sont abattus par un tireur invisible. Le commandant Léonard Kowalsky et la capitaine Sophie Chabrière vont mettre à jour une vaste organisation, Paris, bien sûr, mais aussi Rouen, Lyon ou Sainte Soline par exemple. Son mot d’ordre est simple et concis : avis aux ultra-violents, votre impunité est finie, signé les Victimes.

A lire sur toutes les plateformes numériques en format epud, pdf ou kindle ou en format papier voir  ici.

Plus d'informations ici

Meilleurs vœux à toutes et à tous et merci encore de me suivre toujours avec autant de fidélité.

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22 décembre 2023

Livres. Un certain art de vivre.

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Un ciel chagrin et une brume revêche qui rechigne à se diluer dans l’air. Plongées dans l’ombre à peine grisée par la terreuse lueur du jour, les frondaisons du parc sont encore tout engourdies de nuit. Une biche égarée cherche son chemin entre les troncs des érables et des châtaigniers. Après un regard affolé vers la maison, elle disparaît derrière la haie de coudriers qui borde mon courtil. Au-dessus de nous, une escouade de corbeaux patrouille en grand ramage à la recherche d’éventuels contrevenants. Les tourterelles, pour une fois silencieuses, se sont opportunément réfugiées dans les sapins et les merles se chamaillent les vers de terre blottis sous les feuilles des bouleaux qui jonchent la pelouse. Indifférent à cette agitation, un couple de moineaux picore fiévreusement les boules de graisse accrochées aux branches du lilas à présent totalement dénudé. En un mot, un temps de fin d’automne ordinaire qui incite plus à rester blotti sous la couette qu’à arpenter les chemins.

Certes, selon Jules Renard, le monde appartiendrait à ceux qui se lèvent tôt. Pourtant, mes parents se sont toujours levés à l’aube, ma mère pour traire les vaches et mon père pour panser les chevaux puis, plus tard, bichonner son tracteur et ils n’ont guère jamais possédé que leurs vêtements de travail et le pain dur qu’ils plongeaient dans leur soupe de légumes du potager. Il ne suffit pas de s’élancer dès l’aurore pour s’enrichir. On en connaît d’ailleurs qui ne se sont jamais hasardés à guetter le soleil levant et ont malgré tout amassé des fortunes. C’est l’or, s’égosille gravement leur valet ! Et ils grapillent âprement le moindre écu pour emplir leur cassette. Là, il en manque un ! Il en manquera toujours un, celui précisément après lequel ils courent depuis leur enfance et qu’ils rêvent de serrer entre leurs dents lorsque passera la faucheuse. À la radio, Jean-Baptiste Urbain remercie son invité venu assurer le service après-vente de sa dernière production et lance la pavane Lacrimae Tristes de John Dowland. Comme s’il hésitait encore à rompre l’ambiance morose qui marque la journée qui commence ! Et si cette longue mélancolie ne relevait, en réalité, que d’un certain art de vivre ?

C’est du moins ce que défend Dany Laferrière*. Après avoir couru de Port-au-Prince à Montréal, de New-York à Miami ou de Paris à Tokyo, après avoir franchi les frontières entre le nord et le sud autant que celles de classe et de couleur de peau, il s’aperçoit qu’il a certes accumulé des connaissances et des expériences diverses et nombreuses mais qu’il se retrouve coi aujourd’hui, face à lui-même. À quoi bon un tel parcours de jours ensoleillés autant que de pluvieux, si, à l’arrivée, vous n’en tirez pas bilan ? Et il se pose, un été, pour prendre le temps de ne rien faire. Car, dit-il, c’est quand on a rien à faire que le temps devient précieux ! Il n’en note pas moins sur son petit carnet entre maintes maximes au pied léger, d’hâtives réflexions sur son enfance à Petit-Goâve en Haïti, ses errances littéraires à travers le monde et autres rêveries éblouissantes comme un cerisier japonais en fleur. Et il avoue, faussement naïf, que lecteur horizontal, il pourrait tout autant vivre dans sa baignoire ou dans son lit.

Mais il ne fait pas là l’éloge de la paresse. Eugène Marsan, Paul Lafargue ou Jo Moustaki y ont déjà dessiné des chemins de traverse comme des échappatoires aux folies du monde et aux fuites en avant qui guident souvent nos pas pressés. Il veut seulement dire combien peuvent être riches ces pauses hasardeuses lorsque nous parvenons à les apprivoiser. Comme d’écouter, par exemple, loin de toute effervescence et en compagnie d’une ronronnante Pénélope enroulée sur les genoux, les fameuses cantates de Jean-Sébastien Bach dites Oratorio de Noël*. N’entrons-nous pas, en effet, dans la fameuse trêve des confiseurs ? (*Un certain art de vivre, Dany Laferrière, Grasset / *Nikolaus Harnoncourt à Vienne, 2007.)

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