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Chroniques d'un vieux bougon
20 septembre 2013

Le chien dans la voiture jaune

chien_voiture_jaune

       Un événement particulièrement fâcheux s’est déroulé récemment devant le numéro 36 de la rue des Anciennes Pratiques. Un chien a hurlé toute une nuit à l’arrière d’une voiture en stationnement. La rue des Anciennes Pratiques est sise au cœur même d’une des plus grandes métropoles de notre bel hexagone. Elle tient son nom de la "maison" du numéro 36 jadis habitée par des dames et fréquentée par les messieurs. Vieille maison bourgeoise séparée de la rue par un jardinet touffu et arboré et fermé d’une grille de fer forgé. Ainsi isolée des regards curieux, elle pouvait accueillir les pires turpitudes. C’était du moins l’avis de ses voisins. Ils avançaient pour preuves le ballet presque ininterrompu dès la tombée du jour et jusqu’aux premières lueurs de l’aube des voitures à cheval puis de celles à pétrole. La rue était alors huppée et le seul usager à bicyclette que l’on y rencontrait était le préposé à la distribution du courrier postal et des journaux du jour. On y croise aujourd’hui des motocyclistes, des livreurs de pizza et même des plombiers dans leur camionnette. La rue s’est nettement démocratisée. Ce changement s’est principalement opéré après la révolte des étudiants en mai 68. On vit d’abord arriver un couple curieusement vêtu de couleurs vives et à la coiffure extravagante. Puis un épicier ouvrit son petit commerce à hauteur du carrefour avec la place des Bancs. Celle-ci tenait son nom des banquettes où s’asseyaient jadis les cochers dans l’attente du client. Les bancs ont aujourd’hui disparu ainsi que les cochets. Le nom est resté. Donc, Rachid fut le premier, après la "maison du 36", à ouvrir un commerce dans la rue des Anciennes Pratiques. On y vit bientôt un bistrot accolé au parc de l’hôtel particulier du Président de la Banque Nationale de Crédit. Une couturière s’enhardit à tenir sa boutique presque en face du numéro 36. Mais elle fit faillite et fut remplacée par une agence immobilière elle-même remplacée, quelques années plus tard, par une agence des Grandes Assurances Internationales. Les activités du numéro 36 s’étaient officiellement arrêtées après la guerre. La dernière tenancière vendit à un haut fonctionnaire de ses amis quand le Grand Général de Londres quitta les allées du pouvoir. Le nouveau propriétaire délaissa hélas sa belle acquisition. Les crépis s’effritèrent sur les hortensias qui cernaient la bâtisse. Les rosiers retournèrent à l’état sauvage. La grille de fer forgé rouilla. Un jour, pourtant, elle grinça de nouveau. On vit un homme d’allure honorable et portant une serviette de cuir à la main en compagnie d’une jeune femme fagotée dans une robe aux couleurs voyantes et chaussée de talons hauts. Selon la femme de ménage de l’agence d’assurance, ils seraient restés près d’une heure entière dans la propriété avant de repartir chacun de son côté. Puis plus rien ne se produisit pendant près d’une semaine jusqu’à cette nuit terrible pendant laquelle le chien hurla à la mort. Mais tout rentra dans l’ordre au petit matin lorsque la voiture remonta la rue en direction de la place des Bancs avant de disparaître dans les embouteillages. Ce qui ne manque pas d’ailleurs d’être étrange et intrigue particulièrement les voisins du numéro 36. La voiture, en effet, était de couleur jaune. On voit par là combien l’homme est inconséquent et combien il est difficile au monde de tourner rond. (© Roland Bosquet)

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