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Chroniques d'un vieux bougon
24 septembre 2013

La mort manque cruellement de savoir vivre

la_mort

          En gros, il ne me rendait visite que quatre à cinq fois par semaine. Dédaignant ma boite aux lettres règlementaire, il préférait déposer le courrier sur la table de la cuisine. Parfois, il prenait le temps d’une discussion. Ou plutôt, d’une récrimination. Contre l’administration tatillonne, la canicule qui assèche la terre, les vents de bise ou de traverse qui glacent les os, la chute des feuilles de châtaigniers à l’automne, le vagabondage des chevreuils et des sangliers et bien sûr les chiens de gardes agressifs qui s’en prennent aux mollets des fonctionnaires. Parfois il affirmait être pressé et s’enfuyait sans attendre. Sans doute, ces jours là, prévoyait-il de boire un café chez quelque autre administré de son secteur de distribution. Les jours de neige ou de verglas, il évitait le détour par mon courtil sous le prétexte qu’il l’écartait trop de son chemin. Les jours de grande chaleur, par contre, il ne dédaignait pas un petit verre de rosé bien frais. Il souffrait perpétuellement d’un lumbago. Du moins le prétendait-il. Ainsi, les jours de pluie, refusait-il de sortir de sa voiture. Il appelait à petits coups brefs d’avertisseur et remettait le courrier par la fenêtre de la portière en grommelant trois ou quatre mots incompréhensibles. Pourtant, en dépit de son humeur perpétuellement bougonne, il n’était pas vraiment mauvais bougre. Il pouvait même se révéler plaisant. Il nous arrivait de nous rencontrer en d’autres circonstances que le portage des courriers, magazines et autres publicités. Il fréquentait assidûment la petite salle de concert municipale de la ville voisine et n’aurait manqué pour rien au monde les prestations de l’Orchestre Symphonique Régional. Mozart, Schubert ou Liszt avaient ses préférences et il professait une profonde admiration pour Nikolaus Harnoncourt qui, disait-il, les lui avait fait découvrir. La musique nous avait cependant opposés tout récemment au sujet des mérites comparés d’Alexandre Tharaud et d’Hélène Grimaud dans leurs interprétations de Jean-Sébastien Bach. Mais nous nous accordions toujours pour nous plaindre du mauvais temps qui gâcha si bien le printemps, des tomates qui refusent de murir ou du gouvernement qui ne brasse jamais que du vent à l’image des éoliennes qui surplombent la vallée. Nous avions même prévu une vraie séance de réconciliation  après son retour de vacances. J’avais mis en pot pour l’occasion un clivia-miniata en signe de traité de paix. Las ! Il a assuré sa tournée de samedi dernier comme à son ordinaire. Grognant et bougonnant contre la pluie incessante, les vacanciers qui encombrent encore les routes et les résidents absents. Mais dans un cruel manque de savoir vivre, un infarctus l’a emporté à l’aube de ce dimanche matin. Sans autre forme de procès. Comment voulez-vous que, dans de telles conditions, le monde tourne rond désormais ?

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Commentaires
G
Vous lui rendez un bel hommage avec ce portrait si vivant.
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