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Chroniques d'un vieux bougon
21 février 2017

De l'origine de la sieste.

sieste

       Les cloches de l’église annoncent tierce lorsque je chausse mes bottes de jardiner. Une légère brise fait danser les branches nues des bouleaux et un vol de choucas esquisse un long trait noir sous le ciel couvert. Mon panier à la main, je pousse la barrière de châtaignier qui ferme le potager, écarte du pied la paille de protection et enfonce ma bèche dans une terre lourde et grasse. Trois poireaux, deux feuilles de chou et un brin de thym pour la soupe et une belle poignée de mâche pour accompagner le camembert. Sur le trajet du retour, je remarque que les fleurs des ellébores se sont épanouies ! Leur teinte délicate apporte un peu de poésie au pied de la haie d’orangers du Mexique. Par contre, j’aurais dû couper les tiges fanées des asters depuis longtemps. Elles sont vraiment d’un pitoyable effet dans un jardin d’agrément qui a des prétentions. J’entreprends derechef de faire oublier ma négligence au visiteur imaginaire. Pendant que j’y suis, je taille les repousses du vinaigrier qui se sont aventurées un peu partout et arrache les fougères desséchées dans la palisse de noisetiers. Ému par ses plaintes déchirantes, je rejoins la chèvre naine et la gratifie d’une caresse tandis qu’elle fouille mes poches à la recherche d’une friandise. Puisque je suis là, j’ajoute une poignée de foin dans le râtelier de son abri où elle se réfugie en m’ignorant désormais. Le temps de raboter du talon deux ou trois taupinières jaillies au cours de la nuit, de repousser une branche morte tombée sur le sol en prévoyant de la ramasser plus tard, de saluer les sapins, les chênes et les châtaigniers et de m’excuser pour le dérangement auprès du couple de pigeons qui y ont élu domicile et l’air résonne déjà de l’angélus de midi. La vie du septuagénaire à la campagne est loin d’être toujours un long chemin de sérénité. Mais dame nature, dans sa grande sagesse, prend garde à sa santé. À l’heure du café dans le fauteuil avancé devant la cheminée, que la partition soit de Mozart, de Schubert ou de Rachmaninov, rien n’empêchera ses paupières de s’affaisser et la sieste de l’emporter. Venue du fond des âges sinon de plus loin encore, la sieste est en effet une admirable institution. Souvenons-nous. C’était il y a peut-être six millions d’années. L’Homme n’était encore qu’un grand singe parmi les autres. Braillard, revendicatif, chahuteur et indiscipliné, il gambadait dans la vaste canopée qui dessinait alors une ceinture verdoyante autour de la Terre. Sa mère adorait les fruits les plus colorés qui étaient aussi les plus sucrés. Il en gardera une belle appétence pour les pâtes de fruit auvergnates et les fraises Tagada. Mais à la suite d’une rencontre fortuite au détour d’une grosse branche d’acacia, son géniteur se révélera être l’un de ces mangeurs de feuilles dont les adeptes du "véganisme" perpétuent encore aujourd’hui les traditions. Or, pour assimiler les grandes quantités de verdure qu’il était contraint d’ingérer pour reconstituer ses forces, il se devait de respecter de longues pauses digestives. Bien que devenu un viandard invétéré courant la savane à la poursuite de proies toujours plus plantureuses, notre ancêtre conservera cette douce habitude de se reposer après le repas. Notre civilisation postmoderne du flux perpétuel exige aujourd’hui la course en tous sens. Le sage, lui, a à cœur d’honorer cet avantage acquis de haute lutte depuis ces temps immémoriaux. Épargnant ainsi à son esprit mille sollicitations oiseuses qui lui laissent trop souvent bien peu des choses à penser.

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Commentaires
L
Merci pour ce texte que j'aime beaucoup. La première partie me fait rêver de partir et d'habiter dans une maison avec un petit lopin de terre. La deuxième partie me permet de me poser et de constater qu'il est important de ralentir, pris dans le tourbillon de la vie "active".<br /> <br /> Continuez de nous faire rire, questionner, émouvoir, rêver avec vos textes.<br /> <br /> Bonne soirée.
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C
Bel éloge d'une de mes pratiques favorites.
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L
La musique me donne des cauchemars, par contre je lis quelques pages d'un bon livre, et je m'éteins doucement pendant une demi heure...
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