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Chroniques d'un vieux bougon
28 mai 2019

Ombres fantomatiques

ombres

Rituelles salutations matutinales aux arbres de mon courtil. Le soleil joue dans les branches des acacias et dessine sur l’herbe de longues ombres fantomatiques. Je ne m’en étonne pas. L’expérience m’a appris que les ombres sont en effet très souvent fantomatiques.

En réalité, les fantômes ne s’exposent que très rarement à la vue des simples mortels.  Si rarement d’ailleurs que d’aucuns affirment même qu’ils n’existeraient pas. Aussi, lorsqu’un fantôme apparaît soudain devant vous, réfléchissez avant d’en croire vos yeux ébahis. Souvenez-vous d’abord que vous avez peut-être accompagné votre part de camembert d’un Bordeaux trop bien doté ou conclu votre mélange de Malabar moussonné et de Kwilu du Congo d’un trop généreux calvados de derrière les fagots.

Il est toutefois possible, en dépit de la rareté de leurs manifestations, de dresser des fantômes des portraits tout à fait ressemblants. Il suffit pour cela de faire appel à votre mémoire. Souvenez-vous de votre dernière visite à la Grande Médi@thèque de la Ville. On y reconnaît facilement le campagnard au fait qu’il parle fort, comme s’il s’adressait aux merles qui pillent ses cerisiers. Hélas, l’homme de la campagne est d’un naturel taiseux et on ne l’entend guère en dehors de son territoire de prédilection. On ne pourra donc pas le démasquer au son de sa voix. Par contre, il marche lentement comme s’il voulait éviter les taupinières qui tapissent la pelouse de son courtil. Vous pourrez donc facilement l’identifier lorsqu’il se baguenaudera le nez en l’air devant les rayonnages attribués aux ouvrages régionalistes où il espère retrouver des récits ayant trait à ses ancêtres. Dès lors vous saurez de source sûre et par simple déduction que les ombres pâles qui gravitent autour de lui sont des fantômes.

Certes, il arrive que l’homme de la campagne se baguenaude également sur les trottoirs ou, notamment, dans les parcs municipaux. Mais c’est plus par nostalgie que pour guetter les gouvernantes qui houspillent les jeunes enfants indociles. Quoi qu’il en soit, vous pourrez, là encore, le circonvenir facilement au fait qu’il porte de grossières braies de velours côtelé et de solides brodequins de cuir noir remontant à la dernière guerre. Il se peut évidemment que des citadins se vêtissent eux aussi de velours mais il s’agit alors d’un distingué velours râpé ; leurs chaussures sont des Clarke et leurs manteaux des duffle-coats. On dit alors que ce sont des citadins ayant hérité d’une chaumière à la campagne pour les vacances scolaires et les fêtes de la Noël devant la cheminée. Quoiqu’il en soit et par simple et logique déduction, vous saurez que les ombres pâles qui gravitent autour d’eux sont probablement des fantômes et donc tout à fait inoffensifs.

Hélas ! Les ombres brunes, elles, rodent toujours par les campagnes et par les cités et s’emparent de plus en plus des esprits. Et les ombres brunes ne sont pas des fantômes. Elles sont bien réelles. Elles s’allongent dorénavant sans vergogne jusqu’à nos pieds et menacent de nous engloutir. Il nous faudra nous en garder sauf à accepter qu’elles envahissent les moindres recoins de nos vies et en étouffent toute liberté. Liberté de dire et de penser. Liberté de croire ou de ne pas croire. Liberté d’aller et venir en toute guise, en tout temps et en tout lieu. Il nous faudra de plus en plus nous en garder : elles ne conduisent qu’à l’égoïsme et à l’enfermement.

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Commentaires
A
Le problème, par les temps qui courent, c'est qu'on ne distingue plus très bien la couleur des ombres qui cernent nos paysages. Certaines revêtent la défroque de velours râpé des paisibles bobos tandis que d'autres en gilets flamboyants clament bien haut leur bonne foi de citoyens irréprochables. Je ne sais pas pour vous, cher vieux bougon, ce qu'il en est mais moi je m'y perds et la langue de bois de ces ombres changeantes me devient de plus en plus étrangère.
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L
Chez moi les fantômes sont les bienvenus, ils me racontent les temps heureux...
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