Digressions, évitements et incertitudes

En un mot et pour nous résumer aimait à conclure Alexandre Vialatte* à l’issue de ses légendaires digressions qui pouvaient entraîner le lecteur dans les itinéraires les plus inattendus entre poésie et quotidien. Auvergnat profondément enraciné dans sa vieille terre volcanique, il peut nous emporter en deux paragraphes brillamment ciselés jusqu’à cette Normandie qui, selon lui, se composerait, en gros, de pommiers en fleurs et d’auberges normandes d’où l’on peut voir, entre le gigot d’agneau de pré-salé et la teurgoule qui permettent à l’homme de se sentir moins seul, que le ciel est gris, la mer aussi et parfois nacrée.

La digression peut en effet se révéler un moyen de contournement facile pour éviter d’entrer d’emblée dans le vif du sujet. Ainsi, vous envisagez de dire trois mots bien sentis au conseiller municipal sis dans votre hameau au sujet des motocyclistes qui le traversent chaque samedi matin sur leurs pétaradants engins avant de s’engouffrer sans vergogne dans le chemin de randonnée qui longe votre courtil sans respect aucun pour les écureuils qui préparent leur nid ou pour les pigeons ramiers qui commencent leur cour empressée auprès de leur dame. Mais vous vous souvenez au dernier moment que son neveu s’est dernièrement joint au groupe de perturbateurs. Alors vous l’abordez en lui demandant d’abord des nouvelles de sa sœur dont on dit qu’elle est "fatiguée" ou de sa mère fort âgée qui ne sort plus guère de chez elle à cause de la pandémie covidesque. Le plus difficile sera cependant de trouver ensuite la voie de traverse donnant accès, en douceur, à vos préoccupations.

Il ne faut pas en effet confondre la digression avec la déviation qui, au motif de travaux de voierie, peut vous conduire à emprunter des voies secondaires sinon même vicinales. Car la signalisation rurale ne poursuit qu’un seul et unique objectif, égarer d’éventuels envahisseurs tels que les armées étrangères aux intentions malveillantes, les congés-payés en vacances, invasifs et curieux de tout mais avares de leurs sous, ou les parisiens en rupture de ban descendus de leur Capitale pour se "resourcer" dans la verdure. Elle s’appliquera dès lors à ne renseigner que les gens du terroir qui connaissent déjà les lieux et peuvent ainsi en dénouer facilement les complexités campagnardes : l’impasse du Goth conduit aux ruines de la distillerie clandestine d’un Norvégien un peu fou aujourd’hui abandonnée aux ronces et aux fougères et non celles du château d’Alaric ou le Champ du Potier n’héberge plus depuis longtemps quelque hypothétique fabrique d’amphores gallo-romaines mais  un lotissement flambant neuf  de pavillons avec piscine pour primo-accédants de la classe moyenne.

Il faut d’ailleurs remarquer à ce propos que les raccourcis champêtres peuvent aboutir  aux mêmes résultats que la déviation routière mais avec, en plus, la possibilité de redécouvrir des paysages oubliés depuis l’enfance, de revoir, au détours d’un virage, la maison de votre grand-tante Simone chez qui vous passiez vos vacances d’été en compagnie de votre cousin François, ou, plus loin, le buisson de lauriers derrière lequel vous avez pratiqué pour la première fois le baiser sur la bouche ; les gloussements de la pétulante Germaine vous reviennent alors cruellement en mémoire, elle a en effet épousé depuis le fils de la boulangère alors que vous étiez tout disposé, ce soir-là, à engager avec elle des préliminaires prometteurs. La nostalgie emprunte parfois des chemins détournés !

Mais pour nous résumer et en venir à notre sujet, force est hélas de constater, en dehors de toute périphrase lénifiante, que la situation est grave. (*Dernières nouvelles de l’homme, compilation de chroniques hebdomadaires publiées dans le quotidien La Montagne, éditions Julliard),

Comments

[Loulou le filou]

Bref, on va avoir des pépins !