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Chroniques d'un vieux bougon
25 janvier 2011

Le roi des aulnes / Schubert

L’hiver a envoyé ses reîtres chargés de vent, de froidure et de pluie. Depuis l’âtre le feu répand sa chaleur en tous aîtres. Le front chenu, les os brisés, le poing sur mon bâton de hêtre, je regarde, par-delà la fenêtre, les grands bois s’incliner, sous le givre blanchis. Schubert égrène les premières mesures du « Roi des Aulnes », sur le poème de Goethe.

Le crépuscule hivernal déverse sur les collines un froid impitoyable. La nuit avance au milieu de lourds grondement d’orage. Au loin, un galop de cheval se précise. J’entends le martellement des sabots qui soulèvent des mottes de terre, le sifflement de la bise dans les arbres nus, le souffle puissant de l’animal. Puis s’élève, puissante, une voix de baryton : "Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ? Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ?" Un père et son enfant ! Quelle inconscience que d’entraîner ainsi un enfant au cœur de la nuit ? La silhouette des voyageurs courbés sur leur monture se découpe sous la lumière blafarde de la lune. Le petit garçon a peur et enfouit son visage dans le cou paternel. " Pourquoi as-tu peur ?", demande le père.  "Siehst Vater, du den Erlkönig, nicht ? Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?" La mélodie traduit avec réalisme l’angoisse de l’enfant. " Ce n’est qu’un trait de brume, mon enfant !" D’ailleurs, la voix de ténor du Roi des Aulnes se fait suave et attirante. " Manch bunte Blumen sind an dem Strand. Il y a de nombreuses fleurs de toutes les couleurs sur le rivage !" Le chanteur s’attarde sur chaque mot et savoure chaque phrase. Mais l’enfant persiste à s’accrocher désespérément à son père. "Sei ruhig, bleide ruhig, mein Kind. Calme-toi, reste tranquille, mon enfant", insiste le père. La mélodie se fait lourde, pesante comme le pas du voyageur à bout de force. "Erl könig hat mir ein Leids getan. Le Roi des Aulnes m’a fait mal", gémit l’enfant. Et les doigts du pianiste courent sur le clavier. Courent comme s’ils tentaient, eux aussi, d’échapper à l’emprise du roi de la nuit. Là-bas, les ombres du coursier, du cavalier et de son fils s’enfoncent dans les ténèbres. " In seinen Armen das King war tot." L’homme porte dans ses bras tétanisés le corps mort de son enfant. (© Roland Bosquet)

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