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Chroniques d'un vieux bougon
29 août 2011

Cueillette de mûres

       Opération cueillette de mûres. Hier, les habitants du village ont été lancés sur les chemins par le Club du Troisième Âge et le Club des Loisirs réunis pour récolter des mûres sauvages. Le but est d’en faire de la confiture dont les bocaux, de la taille d’un verre à moutarde, seront ensuite vendus au profit de la caisse de l’Amicale des Écoles lors du marché "produits du terroir" qui se déroule chaque année le dernier dimanche d’octobre. Action certes moins brillante que l’envoi d’un camion de boites de lait concentré au Burkina Faso ou de sacs de riz dans la corne de l'Afrique. Mais œuvre collective cependant au service de la communauté. Connaissant bien le chemin qui longe mon courtil et les bois qu'il traverse, j’ai été désigné responsable d’une brigade de Papys-Mamies.

        Chaussés de brodequins et  harnachés de cirés jaunes, ils frappent à ma porte alors que les cloches de l’église achèvent seulement d’égrener leurs huit coups matutinaux. « Un café avant de partir ? » « Vous n’y pensez pas, s’indigne une charmante vieille dame aux cheveux bleutés sous un fichu probablement hérité de sa mère. Les autres ont certainement déjà commencé.» Il ne m’était pas venu à l’esprit qu'il pouvait s’agir, aussi, d’une compétition ! Nous nous engageons donc dans le chemin dont les talus, régulièrement entretenus, ne laissent guère place qu'aux petites fougères et aux orties si utiles comme fertilisant. L’absence de ronces ne provoque encore aucun commentaire. Les discussions, qui ont repris dès notre mise en route, portent essentiellement sur les autres groupes participants. Un écureuil trop curieux se faufile soudain entre les jambes d’un digne septuagénaire à la crinière argentée avant de disparaître dans le fouillis de noisetiers et de sureaux de la haie. Peut-être le guettai-je inconsciemment connaissant ses habitudes. Je suis le seul, en tout état de cause à l’apercevoir. Trop occupés par leurs discours, ils avancent d’un pas pressé de citadin sans rien voir d’autre, autour d’eux, que leurs propres tracas. Parvenus en bout de chemin, nul ne remarque le ru qui s’est finalement creusé un nouveau lit avant de se perdre dans les hautes fougères. « On nous avait dit », commence une dame au visage taillé au couteau et à l’œil sévère. « En contrebas, vous trouverez de belles ronces, dis-je. Depuis le passage des bûcherons, elles n’ont pas manqué de proliférer. »  Un geai aux aguets signale dans l’indifférence générale l’entrée des intrus que nous sommes dans le taillis laissé par les hommes à la tronçonneuse. De magnifiques ronces couvertes de gros fruits noirs serpentent allègrement de souches en buissons de noisetiers, de genêts en broussailles et de fourrés d’aubépines en rares bouleaux épargnés par les mécaniques. Tout à leur emplissage de boites de plastique sorties par enchantement de leurs cabas ou de leurs sacs à dos, ils ne remarquent pas les traces de sangliers dans la boue des sentes dévalant la colline, les coulis de lapins entre les herbes et autres brindilles brisées par la course furtive des chevreuils. Il leur faudra un envol bruyant de faisans pour leur faire lever la tête vers les dernières frondaisons aux couleurs irisées. Concentrés sur leur ouvrage, ils en oublient même leur babillage seulement troublé, de temps à autre, par le petit rire pointu d’une mamie aussi menue qu’un roseau et modestement chaussée de bottes de caoutchouc. Ma mission étant accomplie, j’estime qu'il ne me reste plus qu’à m’éclipser discrètement.

           Je devrais être satisfait d’avoir rempli ma tâche. L’escouade que l’on m’avait confiée est parvenue à bon port. Les récipients, je n’en doute pas, déborderont de toute part. Peut-être même mes fantassins d’un jour exposeront-ils la plus belle récolte ? Un goût amer cependant accompagne ma satisfaction du devoir accompli. Au lieu de me contenter de leur indiquer leur destination, j’aurais dû les guider vers les beautés si vivifiantes de la forêt, la lumière acidulée du matin sur la rosée, le chant des merles, des grives et des moineaux ou la grâce hiératique du milan lancé à l’assaut du ciel. (© Roland Bosquet)

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