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Chroniques d'un vieux bougon
7 février 2013

Cuisine et dématérialisation

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       Subjugué par le succès rencontré par les émissions de télévision traitant de gastronomie et souhaitant élargir l’éventail des lecteurs de ces présentes chroniques, j’ai décidé, cette semaine, de parler cuisine. Hélas, les pages de l’antique cahier d’écolier où ma grand-mère consignait précieusement ses recettes révèlent bientôt que mon aïeule avait une notion de la précision tout à fait approximative. Ajouter une pincée de sel, additionner d’une petite cuillère de moutarde, verser un bon verre de vin blanc, allonger d’une larme de jus de citron, faire dorer du beurre… Nous sommes bien éloignés des conseils des maîtres-queux du petit écran tels que mettre au four à 180° pendant 12 minutes, laisser refroidir et servir entre 18° et 20° accompagné d’un vin blanc d’Alsace sec mais fruité à température ambiante. Elle n’inscrivait en fait sur son vieux grimoire que les quelques points de repères indispensables à son ouvrage. Comme on enregistre aujourd’hui les références d’un site de téléchargement. Elle avait inventé avant l’heure la dématérialisation qui fait rage de nos jours. Avec l’arrivée d’internet dans les foyers, on a d’abord dématérialisé le courrier. Plus de belles missives bien ronflantes commençant par un "cher auteur" et s’achevant par un hypocrite "désolé de ne pouvoir vous éditer". Ne subsistent plus dans les boîtes aux lettres que les encombrantes publicités sur papier glacé. Parallèlement naît le téléphone portable et son corolaire, le SMS. On dématérialise alors le contenu même des courriels pour n’en retenir que la substantifique moelle ; la belle orthographe de ma grand-mère explose en mille abréviations. Bien avant ces avancées significatives de la modernité dans notre vie quotidienne, il fut un temps où, pour se procurer un disque de Sheila (mais aussi ceux de Georges Brassens, de Paco Ibáñez, de Montserrat Caballé ou du Philarmonique de Berlin) il fallait pousser la porte d’un magasin où officiait un disquaire qui explorait alors ses étagères en grommelant à la recherche de la galette de vinyle en question. L’invention des grandes surfaces commerciales dématérialisa d’abord les disquaires. Internet dématérialise aujourd’hui les étals des grandes surfaces. Vous pouvez désormais vous procurer le dernier "single" de votre chanteuse préférée en un simple "clic". La même aventure menace d’ailleurs tout autant les prix Goncourt et Renaudot ou les Anna Netrobko et Joyce DiDonato qui raviront sans nul doute les scènes lyriques parisiennes dans les mois à venir. Les petits-enfants des internautes d’aujourd’hui pourront-ils, dans un siècle, consulter les mémoires de nos disques durs où sont entreposées ces données virtuelles ? Rien n’est moins sûr. Les matériels adéquats auront alors changé plusieurs fois de génération. On voit par là qu’un progrès technique, s’il transforme la civilisation, risque aussi de la couper de ses racines. En attendant, je vais "cliquer" sur le site "web" de mon magasin "drive" pour commander les ingrédients nécessaires à l’élaboration d’une bonne teurgoule comme j’en dégustais dans mon enfance normande. À savoir du sucre semoule, du riz rond, du sel (une pincée !), de la cannelle en poudre (environ un quart de cuillère à café) et du lait entier. Ajoutez quelques heures de cuisson et des invités complaisants et vous clôturerez votre repas avec un air de fête bien palpable. Pendant que la potée cuira lentement dans le four de la cuisinière à bois, je me transporterai en chair et en os jusqu’au bureau de poste du village pour expédier un livre (15x20 relié in folio) à un vieil ami allergique aux tablettes de lecture. À moins qu’ils n’aient aussi dématérialisé la postière ! (© Roland Bosquet)

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Commentaires
H
Salut vieux bougon. Pourquoi ce pseudo ? Pas si bougon que ça dans les propos. Peut-être une pincée de regret sur les choses du temps jadis. En attendant d'être moi-même dématérialisé, je profite du "progrès" aussi. Qui me permet de te lire.<br /> <br /> Amicalement. dinosaure80. (82 ans).
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T
Avec l'apparition des tablettes de lecture, on prend le même chemin que celui des disques, les téléchargements illégaux...
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