Plus vite, plus haut, plus fort.
Que le ciel soit clair ou nuageux, c’est toujours le moment de faire un peu de ménage dans son courtil. Couper par exemple les hampes desséchées des pivoines et celles des dahlias brûlées par le gel. Le jardinier sait en effet depuis la nuit des temps que les plantes naissent, poussent, fleurissent et meurent irrémédiablement avant de renaître à la reverdie. Le chasseur-cueilleur savait quand il lui fallait cueillir ses fruits préférés avant qu’ils ne disparaissent mais il savait aussi qu’ils reviendraient à l’été. Le paysan savait que les germes de l’épeautre qu’il avait semé allaient grandir et quand il lui fallait en moissonner les graines pour pouvoir en ressemer au regain suivant. Le charpentier épargnait les baliveaux jusqu’à ce qu’ils atteignent leur hauteur adulte. Après la taille, des repousses jaillissaient toujours de la souche abandonnée. Tous savaient depuis toujours que tout a un début et que tout a une fin mais que tout se renouvelle à l’identique. Et tous en déduisaient que la taille du gâteau est donc définie une fois pour toute et qu’il ne saurait s’agrandir. On se gausse aujourd’hui d’idées aussi saugrenues mais il n’y a pas si longtemps encore, des gens bien intentionnés croyaient que le nombre des emplois n’était pas extensible à l’infini. Du moins pas au point d’infléchir durablement celui toujours croissant des demandeurs. Ils réduisirent donc la durée du travail des uns pour en donner un peu aux autres. Le résultat se révélera évidemment modeste au regard de leurs espérances. C’est que cette croyance remontait au temps jadis où le monde était quasiment immuable. Le roi, quel que soit son nom, régnait à la Capitale et les collecteurs d’impôts dans les campagnes. Les riches demeuraient riches et les pauvres miséreux, les seigneurs et les nobles en haut de l’échelle et les sans-dents tout en bas. En un mot, les enfants vivraient comme leurs parents et leurs grands-parents car demain serait comme hier. On ne connaissait pas encore le progrès. Jusqu’au jour où des Philosophes émirent l’idée que le monde pourrait probablement s’améliorer. Si les paysans semaient de l’engrais avec leur blé, ils obtiendraient plus de farine pour nourrir une population toujours plus nombreuse. Si les savants inventaient des machines, les artisans pourraient fabriquer plus de charrettes, plus de casseroles et plus de tire-bouchons. Ils pourraient même domestiquer la vapeur aussi bien qu’Érectus avait apprivoisé le feu. Elle actionnerait des pistons qui entraîneraient des bielles qui feraient tourner des roues toujours plus vite et toujours plus loin. Aujourd’hui, les pichets de Beaujolais nouveau peuvent ainsi arriver dès le 16 novembre sur les tables des bistrots parisiens et sur les étals des librairies, les publications des Éditions Gallimard aussitôt le passage de leurs auteurs à la télévision. Les transports sillonnent le monde entier sur les départementales comme sur les océans et dans les airs, le commerce débusque jusqu’au dernier client perdu dans le dernier recoin le plus reculé de la forêt vierge et internet connecte l’ensemble dans un immense marché porté par une unique ferveur : la croissance. Conscients cependant que les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel, certains, bien sûr, s’interrogent. Jusqu’où la croissance peut-elle croître ? La planète résistera-t-elle aux assauts de cette si gourmande et si nombreuse population humaine ? Nos sociétés post-modernes de l’abondance et du flux perpétuel ne s’engouffrent-elles pas dans une impasse ? Voilà qui laisse, en effet, bien des choses à penser.
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