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Chroniques d'un vieux bougon
10 novembre 2020

La camarde, la bouffonne, doit bien rire en son plastron.

11_novembre

Armé de son aspirateur-souffleur au ronflement infernal, bardé de son ciré jaune, casqué et masqué, l’employé municipal avait déjà tenté de réunir en un petit tas les feuilles mortes et les mauvaises herbes accumulées autour du moment aux morts. Son camion stationné au plus près mais empiétant largement sur la chaussée, il ne pouvait passer inaperçu et nul ne pouvait donc ignorer que la traditionnelle cérémonie du 11 novembre approchait. Les participants auraient hélas été bien peu nombreux.

 L’époque n’est plus guère où, outre le maire et le conseil municipal au grand complet, chaque famille y envoyait au moins un représentant. Après la messe, tous se réunissaient au pied du monument et les palabres allaient bon train. Les femmes échangeaient les dernières nouvelles au sujet des anciens restés à la maison, des enfants qui causaient bien du souci et des petits- enfants qui grandissaient trop vite. Les hommes parlaient des fermages qu’ils venaient de payer à la Saint-Michel et des veaux dont les cours avaient encore baissé sur le foirail du chef-lieu de canton. Et le Conseiller Général en profitait pour assurer chacun de son indéfectible soutien.

 Les enfants des écoles prenaient place sous la houlette du directeur, le clairon, dans son coin, cherchait la bonne note, le maire se râclait la gorge, les bavardages marquaient une pause pour entendre son discours écrit par le secrétaire de mairie, la sonnerie aux morts s’élevait vers le ciel couvert de nuages menaçants et donnait le signal de la minute de silence. Puis l’édile développait la longue liste des "Morts pour la France" inscrite en lettres dorées sur la colonne de marbre et déposait d’un geste empreint de dignité la gerbe du souvenir.

 Mais les survivants de la Grande Boucherie qui avait dépeuplé les campagnes s’éteignirent les uns après les autres, ceux de 39/45 se firent de plus en plus rares et ceux qui furent envoyés combattre le vietminh en Indochine puis "rétablir l’ordre" dans le bled algérien commencent à leur tour à être emportés par l’âge et ses maladies. Ce qui fait que bien des écoliers d’aujourd’hui confondent toutes ces guerres avec celle de Jules César contre Vercingétorix, celle de cent ans contre les Anglais qui ont depuis colonisé le Périgord et celles de Napoléon contre l’Europe entière à présent réunie autour de l’euro. Les commémorer aussi solennellement aurait d’autant plus gâché le trop court jour de congé que la majorité de la population désormais rurbaine a perdu tout lien familial avec ces anciens combattants.

Mais cette année, la pandémie covidesque bouleverse toutes les habitudes. Respecter une distance prudente avec ses voisins, porter un masque et se laver les mains après les avoir croisés peut déjà paraître désobligeant à leur égard. Mais par la grâce du confinement, nul ne sera contraint de subir l’impolitesse des autres puisque tout le monde est invité à rester chez soi. La participation à la cérémonie était déjà bien clairsemée avant cette péripétie. Elle sera plus limitée encore mais dans la bonne conscience cette fois.

Les médias s’en feront malgré tout l’écho par un court reportage à l’Arc de Triomphe et la tombe du Soldat Inconnu puis enchaîneront une fois de plus et sans attendre sur le sempiternel chœur des pleureuses, les bistrotiers qui perdent en chiffre d’affaire, les patrons de petits magasins obligés de fermer quand les grands restent ouverts et les tenanciers de discothèques qui doivent demeurer closes, privant nos jeunes des divertissements si indispensables à leur équilibre psychologique.

 Les chaînes de télévision pourraient certes, pour une fois, donner la parole aux quarante et un mille familles, à ce jour, qui  pleurent l’un des leurs terrassé par le virus et montrer le dur et long parcours de rétablissement des rescapés du respirateur artificiel mais ce serait alimenter l’anxiété naturelle qui torturerait déjà le menu peuple !  Mieux vaut donc faire dans le persiflage et la dérision systématiques sinon même la provocation par quelque belle contrevérité de dessous les fagots et bien sûr la toujours payante distraction pour retenir le téléspectateur devant l’écran et sauvegarder, au moins, la publicité !

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Commentaires
L
Cher Vieux Bougon, je ne crois pas à l'utilité de ces commémorations, néanmoins apprendre de ces souvenirs guerriers les vraies causes qui ont fabriquée cette barbarie afin qu'elle ne puisse renaître voilà ce qui serait salvateur😷
Répondre
L
C'était avant...
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