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Chroniques d'un vieux bougon
24 novembre 2020

Rêves de voyage.

voyages

La chance m'avait servi et un strapontin m'était réservé dans une grande salle parisienne pour ce samedi 21 novembre pour écouter Evgeny Kissin dans un programme de choix, Nocturnes, Polonaises et Impromptus de Frédérick Chopin suivis de la dérangeante Sonate en si mineur d’Alban Berg et des accents jazzy de quelques Préludes de Georg Gershwin. Mes hôtes et néanmoins amis de la rue Mouffetard avaient même prévu de m’emmener dans un petit restaurant redécouvert au printemps qui, selon eux, offrait une chaleureuse atmosphère autour d’un repas goûtu et simple à la fois.

En réalité, j’avais hésité entre Paris et Toulouse. J’aurais pu choisir en effet le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten donné une semaine plus tard au Capitole dans une mise en scène d’Anne Delbée. Avec ses huit chanteurs et ses treize instrumentistes, cet " opéra de poche", comme le qualifiait lui-même le compositeur, semblait tenir le format idéal pour notre époque toujours survolée en début septembre d’une brise covidesque persistante. Au plaisir d’entendre la belle mezzosoprano Agnieszka Rehlis s’ajoutait par ailleurs celui de retrouver autour d’un moelleux manseng de derrière les fagots mes vieux amis Jacques, professeur de philosophie à la retraite, et son épouse Sophie, peintre de vouivres exposées un peu partout dans le monde.

Puis j’aurais bifurqué, en guise de suite traversière, au Pays d’Euskadi pour revoir dans l’antique baserri de ses parents et grands-parents un vieux compagnon de route définitivement amarré à sa province de la Soule. Il m’aurait concocté sa succulente soupe de poisson suivie d’une pipérade des produits de son potager et de fromage de brebis de la ferme voisine autour d’un pichet de kupela maison. Cet ancêtre du cidre ne vaut pas bien sûr son héritier normand mais il sait cependant entretenir une chaude convivialité. Après le gâteau aux noix, nous serions descendus au café du village écouter le chœur des anciens dans des chansons d’amour improvisées et les inévitables rodomontades des jeunes privés de fronton par la tout aussi inévitable pluie, la garante incontournable de l’éternelle verdure qui habille les collines.

Hélas la chance s'est arrêtée là ! Le zéphir covidesque s’étant bientôt transformé en bourrasque, le Président en personne m’informa par voie télévisuelle que j’étais une nouvelle fois rattrapé par la tourmente pandémique et assigné à résidence en ma chaumière lointaine ; un courriel remarquablement impersonnel me confirmera par la suite mon infortune parisienne : conformément aux instructions étatiques, "les représentations prévues sont annulées". Je me trouvai dès lors fort dépourvu devant un calendrier désertique.

Or, chaque année en cette saison automnale, les feuilles des chênes, fayards, érables et autres châtaigniers profitent de l’approche de l’hiver pour descendre de leur perchoir et s’installer benoîtement sur la pelouse. Et quand les branches, leurs hôtesses de plus en plus décharnées, dressent vers le ciel leurs suppliques désespérées, elles s’étalent au pied des troncs, volettent au moindre souffle et accaparent le moindre rayon de soleil parvenant à percer entre deux ondées pour dessiner de luisants tapis mordorés où merles et moineaux s’ébrouent joyeusement.

Je savais dès lors ce qu’il me restait à faire. Les nuées semblant pour une fois se montrer bienveillantes, je cochai la case adéquate de l’attestation dérogatoire de déplacement et coiffai mon museau du masque règlementaire, pour garder malgré tout l’impression de baguenauder par monts et par vaux, chaussai mes bottes de caoutchouc, empoignai mon râteau et lançai derechef l’opération "feuilles mortes 2020".

Et tandis que je ratissais en fredonnant le thème principal de la fameuse "héroïque" de Chopin, résonnaient au-dessus de ma tête les appels rauques des grues cendrées et des oies sauvages en partance pour l’Andalousie, emportant avec elles mes rêves de musique et de rencontres amicales !

PS. Inutile bien sûr de préciser  que la soirée Britten est elle aussi d’ores et déjà annulée 

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Commentaires
L
L'opéra offert par cet automne covidesque n'est-il pas lui aussi une fugue chopiniste que la nature vous gratifie en échange des dommages musicaux que vous subissez cher Vieux Bougon ? Et puis, le rateau transformé en instrument pour faire danser les feuilles mortes.. comme le disait Jacques Prévert...🍻
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L
Tu peux remercier Coco le virus.
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