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Chroniques d'un vieux bougon
11 mai 2021

Comme dans un tableau.

tableau

L’air est doux en cette fin d’après-midi. Moineaux, rouges-gorges et chardonnerets piaillent dans les palisses, les mésanges se relayent pour nourrir et veiller leur couvée dans le nichoir blotti au cœur du seringat et les pinsons multiplient les vocalises aux mille fioritures pour attirer leur belle. Une petite brise distribue de généreuses fragrances de chèvrefeuille sur la terrasse où nous nous tenons, l’ami Roger et moi, installés dans notre fauteuil d’osier pour déguster en paix un Bourgogne-Aligoté à bonne température.

Devant nous et passées la pelouse et la haie de charmes et d’aubépines, dévale en pente douce un taillis de noisetiers tacheté ici ou là de genêts en fleurs avant de plonger dans l’ombre de la vallée en contre-bas. Des fûtées de châtaigniers et de fayards ferment le cadre en côté cour, le chêne deux fois centenaire qui marque l’entrée de mon courtil pose en côté jardin et les collines des Monts dessinent l’horizon en une ligne de fuite digne d’une toile de Nicolas Poussin*. En un mot, s’étale sous nos yeux un paysage comme on en voit dans les musés. Un paysage comme en photographient de leur smartphone les touristes de passage en s’exclamant distraitement, « c’est beau ! »

Chacun conviendra qu’un paysage de campagne peut offrir plus de beauté et d’harmonie qu’un terrain vague urbain parsemé d’herbes folles, de gravats, de détritus et de sacs en plastique dansant au gré de la brise chargée de gaz d’échappement et autres particules délétères, même si la notion de beauté dépend d’abord du regard du spectateur. Á ceci près peut-être que ce dernier est chargé d’un avenir plus ou moins proche qui verra, à sa place, un immeuble de logements sociaux, une tour de bureaux de vingt étages, une aire de jeux pour les gamins du quartier ou même un parc écologique avec des allées ombragées, des écureuils et des petits oiseaux tandis que le premier semble immuable depuis la nuit des temps et pour l’éternité.

En réalité, nous le regardons par en-dessus et nous n’en voyons que la canopée, sans prendre en compte les chemins qui y conduisent, les ruisseaux qui l’irriguent, les bois et les clairières qui le ponctuent, les sentiers qui le traversent en un écheveau complexe et incertain. Nous méconnaissons les vents qui le caressent, les tempêtes qui le bousculent, les corbeaux, les buses et les ramiers qu’il abrite et les grues et les oies sauvages qui le survolent lors de leurs migrations. Nous ignorons les chevreuils, les renards et les sangliers qui le sillonnent, les lapins et les faisans qui s’y cachent, les papillons et les abeilles qui y butinent et les rayons de soleil qui y dessinent des ombres changeantes dans les ramées. En un mot, nous ne distinguons pas la vie qui se déploie sous ses frondaisons, l’anime et le transforme. L’espace réel de ce paysage nous échappe parce qu’il dépasse le cadre étroit de notre regard et déborde de toute part jusqu’aux contrées les plus lointaines.

Il faut se rappeler qu’il y a, en gros, quatorze milliards d’années, il n’y avait rien, du moins à notre connaissance. Ni galaxies, ni étoiles, ni planètes et ni Terre non plus, bien entendu. Il faut se rappeler que, depuis le Big Bang des théories savantes, tout, absolument tout, est en mouvement, change, diverge, disparaît et renaît parfois plus tard ou ailleurs. Car tout a une histoire, les quartz et les granits qui composent les montagnes, les calcaires constitués des sédiments abandonnés par les océans après leur départ et les vertes campagnes cernées de collines couvertes de forêts que nous admirons. Il faut se rappeler que la touffe d’herbe que nous piétinons négligemment grouille d’une vie innombrable, forte et fragile à la fois, depuis les mycéliums qui la nourrissent en sels minéraux jusqu’au gaz carbonique qu’elle absorbe et l’oxygène qu’elle rejette et que tout cela fait un Tout qui constitue la vie et dont nous dépendons étroitement depuis toujours et pour longtemps encore sans doute.

Et dont dépendent évidemment nos deux amateurs de vin blanc posés là comme deux papillons qu’un entomologiste distingué aurait épinglés sous verre pour mieux les examiner à la loupe ou au microscope. À moins que ce ne soit le peintre lui-même qui ne les ait inclus dans son tableau en quelques malicieux coups de pinceau ! (*Les secrets de Nicolas Poussin, Daniel Dugès, éditions Pégases)

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Commentaires
L
Le cadre semble idyllique. Et fait rêver. Ce que j'apprécie, ce sont ces descriptions dont vous usez volontiers et qui campent le décor. Décor qui s'étale à longueur de mots précis, délicats.
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L
Un verre de nature à déguster...
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