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Chroniques d'un vieux bougon
1 juin 2021

profiter c'est que du bonheur !

profiter

Chaque jour demandant son pain quotidien, comme dit la prière, et puisque le temps est au beau, je n’attends pas que Denisa Kerschova lance à la Radio le guilleret indicatif de son Allegretto pour chausser mes brodequins et gagner la boulangerie du village par un chemin de traverse abandonné depuis longtemps par les paysans et leurs tracteurs. Hélas, dans l’espoir d’attirer les amoureux de la nature "authentique", une équipe de bénévoles en a largement débroussaillé les abords au cours de l’hiver dernier. Ils ont surtout massacré ronces et buissons qui abritaient une multitude de moineaux qui y nichaient en toute quiétude et offraient en fin d’été des ventrées de mûres et de prunelles sauvages aux promeneurs du dimanche. Au détour d’une noisetière échappée au carnage, je tombe nez à nez avec une escouade de séniors en pleine séance hebdomadaire d’activité physique anti-infarctus. Bonjour ! Bonjour ! Y fait beau ! Fait beau ! Faut en profiter … !

Ils pourraient baguenauder benoîtement le nez au vent pour le plaisir de humer le bon air des arbres, d’écouter la romance de la brise dans les feuillages et les complaintes des agneaux dans les prés ou simplement marquer leur pas au rythme des chamailleries des merles et des tourterelles. Non, ils soufflent, ils ahanent, ils soupirent … pour profiter !

On pouvait autrefois complimenter la mère d’un nourrisson qui avait bien profité de ses tétées. On pouvait louer la main verte d’une maîtresse de maison au sujet de son philodendron qui avait bien profité du dés à coudre d’engrais dont elle l’avait nourri. Au vu de son tour de taille, on pouvait dire du garde-champêtre, amateur de bière invétéré, qu’il profitait bien de ses passages réguliers au bistrot du village. Et le fermier, au soir de sa journée de travail, s’enorgueillissait de constater que son cochon profitait si bien qu’il serait à point pour la noël. Mais il ne serait venu à l’idée de personne de "profiter" du beau temps !

La notion de "profit" était réservée aux bourgeois, aux propriétaires-bailleurs, aux rentiers, aux actionnaires des entreprises qui vous employaient ou à la banque qui rémunérait si peu votre petite épargne et vous prêtait en même temps à des taux exorbitants pour la construction de votre maison. Faire du profit était un péché de spéculateur et digne des flammes de l’enfer et s’ils ne pouvaient plus accrocher au bout d’une pique la tête de ces affreux exploiteurs qui mangeaient le pain sur le dos des travailleurs, les prolétaires en colère des défilés du 1er mai n’en brandissaient pas moins à bout de bras de belles pancartes fournies par les syndicats vouant aux gémonies ultimes ces infâmes accapareurs. Aujourd’hui, si l’on stigmatise toujours autant l’indécent profit des milliardaires, on réclame malgré tout de pouvoir soi-même "profiter" du soleil et de la mer, d’une bière en terrasse, que dis-je, d’une place au théâtre où l’on ne va jamais en temps ordinaire sinon même d’un film d’Éric Rohmer ou d’un blockbuster américain de série Z. Serions-nous tous devenus des profiteurs ?

Quoi qu’il en soit de l’évolution de ces expressions toutes faites qui retrouvent une nouvelle fortune avec les manques mis en évidence par les confinements covidesques, profiter en faisant les magasins de chiffons ou de produits dits de beauté entre copines, profiter en prenant l’"apéro." autour d’un barbecue électrique avec les voisins du lotissement ou simplement profiter en s’allongeant de nouveau sur le sable d’une plage grouillante d’estivants est presque devenu aujourd’hui un objectif de vie sinon même un idéal. Et c’est que du bonheur, ajoute cette jeune femme alanguie sur sa serviette de bain, que du bonheur ! Alors, profitons du bonheur sans attendre même s’il se révèle minuscule et dérisoire ; il ne se présente pas si souvent, après tout !

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Commentaires
L
Donc il faut enjoy (ben quoi, je sais bien que ce n'est pas un mot bien de chez nous, mais il est une pub [je me contrefiche de laquelle]) qui l'emploie. Chaque jour qui passe a son propre bénéfice dont on profite insolemment sans vraiment comprendre que ce n'est que du fugitif. Quant à aller suer, grimper, s'essouffler histoire de profiter du beau temps, très peu pour moi : je ne marche jamais que pour le simple plaisir de la marche.
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L
C'est très léger le bonheur, et fragile !
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