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Chroniques d'un vieux bougon
22 mars 2022

Une époque de comptables.

comptables

Ce matin-là, le bleu est la couleur du ciel et l’argent celle des reflets du soleil sur la pelouse. Pendant qu’à la radio, Clifford Curzon et l’Orchestre Symphonique de Londres déclinent l’adagio du concerto pour piano en la mineur extrait de "Peer Gynt" d’Edvard Grieg, le téléphone aura sonné trois fois. La première pour m’annoncer triomphalement que j’ai gagné le droit de participer à un tirage au sort, la deuxième ne m’a livré que des gargouillis informes sans doute en provenance de quelque centre de publicité téléphonique et la dernière pour me rappeler mon rendez-vous du lendemain avec le cardiologue, les septuagénaires sont en effet astreints à un certain nombre de révisions périodiques afin de s’assurer, dit-on, de leur bon état de fonctionnement. Lorsqu’une voiture passe devant le chêne deux fois centenaire qui marque l’entrée de mon courtil, remonte l’allée donnant accès à la terrasse et stationne sans vergogne au pied des marches.

Je suis alors plongé dans la contemplation de l’éblouissant ballet d’un couple de mésanges dans le lilas tout proche. Cette arrivée inopportune ne manque pas de mettre fin à leurs ébats et de disperser les rouges-gorges et autres moineaux qui tourbillonnent eux aussi autour des graines que je tiens à leur disposition. Que veut donc ce malotru ? À quoi bon vivre à la campagne au fin fond d’une vallée perdue au cœur des Monts, eux-mêmes ignorés de la plus grande partie de la gent humaine, hormis le percepteur bien entendu, si c’est pour être dérangé ainsi à l’improviste par le premier venu ?

Après de longs et interminables instants, celui-ci sort enfin de son habitacle puis, tout en poursuivant, en authentique contemporain de notre époque, une apparente conversation avec son téléphone, lève les yeux vers la fenêtre, claque la portière, faisant fuir encore deux ou trois merles absorbés dans la fouille fébrile d’une taupinière, et bondit dans un élan de jeune commercial tout frais émoulu de son école jusque devant la porte. Les amis et connaissances ont leurs habitudes, ils entrent dans la maison directement par la cuisine, à la bonne franquette, comme ils disent. Pour l’heure, le temps de remettre la main sur la bonne clé, mon assureur me rappelle en effet régulièrement les termes de notre contrat en la matière, et mon visiteur est déjà reparti dans un nouvel entretien avec l’éther si bien que c’est à moi de patienter dans l’attente qu’il cesse ses cent pas agacés, bousculant ici une chaise de rotin, là un buisson de forsythias en fleurs et là un bouquet de jonquilles en pot dont les corolles s’inclinent vers le sol prêtes à s’ouvrir bientôt. C’est pour le recensement ! lance-t-il en enfournant son appareil dans sa poche.

Comme mes voisins et sans doute le reste de la population, j’avais complètement oublié les avertissements de la mairie. Non seulement, outre le fameux "passe-sanitaire" à l’obsolescence aléatoire, il faut en effet régulièrement justifier de son existence auprès des caisses de retraite ou de la banque, non seulement il faut justifier de son identité pour payer ses achats par chèque ou pour résilier un simple contrat d’abonnement, non seulement il faut justifier de temps à autre de son droit à conduire un véhicule à moteur auprès de la marée-chaussée, mais on vient également vérifier in situ que votre nom correspond bien à celui indiqué sur votre boite aux lettres !

On dira que c’est le prix à payer pour une bonne administration de la population. Soit ! Mais ces inventaires démographiques méritent-il vraiment de déranger ce petit peuple ailé dont les écologistes répètent à satiété qu’il est en péril tels que le traquet rieur, l’outarde barbue et autre chardonneret élégant ? Nous vivons décidément une époque de comptables sans respect aucun envers les petits oiseaux et les papillons de nos jardins et peut-être même aussi envers les coquelicots et les pâquerettes de nos prairies ! (Lire Se libérer de la dictature des chiffres, Valérie Charolles, Fayard.)

 

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Commentaires
L
Cher Vieux Bougon, époque de comptables, certes, mais pour compter quoi, les jours qui nous rapprocheraient de notre finitude ? Heureusement, loin des comptes ou des contes à dormir debout des diverses "campagnes", nous avons Schubert, Beethoven et quelques bons livres. Et un bon verre de Côtes de Millau ! A la vôtre !
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L
En ce moment les merdias comptent les morts, ce n'est pas mieux.
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