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Chroniques d'un vieux bougon
25 mars 2011

L'étranger du bas-côté de la route

  

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    Hier, sur le trajet de retour de la Grande-Médi@thèque de la Ville, j’aperçois un marcheur arpentant à grands pas le bas-côté de la route conduisant au village. Son bâton de coudrier frappe sèchement le macadam, précis, assuré. Un homme habitué à marcher entre nids de poules et  accotements défoncés. Je distingue bientôt un sac à dos accroché à ses épaules. Un vêtement de pluie aux couleurs passées s’échappe d’une des poches et s’agite comme une manche à air de piste d’envol de terrain d’aviation. Lorsque je le dépasse, nos regards se croisent une fraction de seconde. Ses traits sont creusés et ses yeux brillants, presque fiévreux. Ses cheveux broussailleux s’accordent avec sa barbe grisonnante et lui dessinent un visage fatigué. C’est bien la première fois que je rencontre un routard sur ce parcours éloigné de tout. Que cherche-t-il par ici ? Rentre-t-il chez lui ou fuit-il quelque passé hasardeux ? Je  m’arrête une dizaine de mètres devant lui. « Je peux vous conduire un peu plus loin. » « Je ne vais nulle part ! » Tout compte fait, il accepte l’hospitalité. « Rien que pour une nuit ! » Il jette un regard distrait sur la cheminée, le buffet, les fauteuils, la table et le canapé. Ce modeste confort ne le concerne pas. « Je n’ai pas grand-chose à manger. »Il hausse les épaules. « Un bain pendant que je rallume le feu et que je prépare une omelette ? » Lorsqu’il réapparaît, cheveux et barbe soigneusement peignés, il daigne, enfin, m’accorder un sourire un peu crispé. Eldar Nebolsin interprète, brillamment, l’andante cantabile en Ré majeur de l’opus 23 des Préludes de Rachmaninov. « C’est beau », lâche mon invité tandis que j’égoutte la poignée de morilles cueillies le matin même au pied d’une haie. Nous mangeons en silence. Le pianiste aborde l’allégretto en Si majeur de l’opus 32 lorsqu’il essuie consciencieusement son assiette avec son reste de pain comme quelqu’un qui ne mange pas toujours à sa faim. « Vous n’êtes pas curieux, me lance-t-il en se redressant. Vous ne me demandez pas pourquoi je suis... » Il termine sa phrase par un vague geste du bras. « Vous faites bien comme vous voulez ! » « En fait, tente-t-ilmalgré tout d’expliquer, lorsque je marche, je ne pense à rien. Et c’est bien mieux ainsi ! » Nous parlons ensuite jusque fort tard dans la nuit. De lui, un peu, du monde, des gens qu’il a rencontrés, de la route et du vent qui pousse les hommes à partir pour nulle part. Pourtant, en me glissant dans mon lit, je constate que je ne le connais pas mieux qu’à son arrivée. Ce matin, à mon réveil, le canapé est videet la couverture pliée au carré. Sur la table, il a juste laissé un mot griffonné en marge de la Une du journal. « J’ai pris du pain. Merci. » Adèle inspecte les lieux en me jetant de temps à autre un regard brûlant de questions. « Je ne sais pas son nom, lui dis-je. Peut-être même n’en a-t-il plus ! D’ailleurs, à quoi lui servirait-il puisque personne ne l’appelle ? »

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Commentaires
L
Belle rencontre...
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