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Chroniques d'un vieux bougon
20 octobre 2011

Le Cosmos et le Lotus

       Nous sommes réunis chez Hélène et Sébastien pour célébrer le départ de leurs derniers vacanciers. Comme à son habitude, Sophie a apporté du saucisson fabriqué par son voisin charcutier de pères en fils depuis quatre générations. Le Hibou s’est muni d’une bouteille de sa réserve de cabernet-sauvignon Château Margaux 1994 auquel il goûtera pour la première fois. Hélène s’est chargée de cuisiner les magrets de canard de la ferme dorés au miel et modestement escortés de pâtes fraîches. Marthe Dumas du Mas du Goth a platement confectionné à la mode normande une tarte aux  pommes de son jardin. Elle est venue accompagnée de Thomas, mon ami le routard, qu’elle a "pris sous son aile le temps de le remplumer un peu" selon ses propres termes. J’ai  moi-même calé sur la chaîne Bose la septième symphonie de Gustav Mahler dite "le chant de la nuit" par le Philharmonique de Berlin sous la direction de Claudio Abbado. Sébastien s’est, quant à lui, contenté d’arriver tard à cause d’une vache qui aurait sauté une clôture et se serait égarée dans les bois.

       Nous parlons du temps qu’il fait et de celui à venir, de l’exposition des vouivres de Sophie à Vienne, des randonnées du Hibou entre les musées, les cafés traditionnels et les vieilles rues datant de l’époque de l’empereur François-Joseph, du manque futur de fourrage pour les bêtes à cause de la sécheresse, d’anecdotes plaisantes au sujet des étonnements de citadins des locataires de chambres d’hôtes et des éoliennes dont on aperçoit à présent la haute silhouette dépasser des futaies de châtaigniers au sommet de la colline la plus élevée des Monts. Joseph ne dit rien mais toutes ces paroles autour de lui semblent lui donner le tournis. Á moins que le Château Margaux n’ait lui aussi une part de responsabilité dans sa démarche hésitante lorsque nous nous levons de table pour prendre le café et le dessert au soleil sur la terrasse. Nous admirons en silence  la combe qui s’ouvre à nos pieds, les verts profonds des chênes et ceux, pâlissants, des ormes et des fayards et les ors acidulés des bouleaux. Alors que Sébastien remplit nos tasses de café, Marthe nous fait part de sa dernière lecture. « Elle est belle, cette vallée, n’est-ce pas ? Magnifiquement belle ! D’une beauté à couper le souffle. Mais une beauté encore à taille humaine. On peut la voir, presque la toucher. Ce qui m’étonne, c’est le ciel, l’univers. Et ce qui m’étonne plus encore, c’est qu’avec quelques chiffres inventés par lui, l’homme parvienne à l’étudier, le mesurer, presque le comprendre. Avec les mêmes chiffres, il décrit d’ailleurs également des objets  dont il ne soupçonne même  l’existence que par leur absence. Comme s’il était, à la fois, de la taille d’un boson et aussi grand que l’univers !  Dans son livre, "Le Cosmos et le lotus" , Trinh Xuan Thuan dit que, sans un peu de spiritualité, l’homme ne peut aller bien loin dans la compréhension de l’univers » Alors Thomas prend la parole, lui qui n’a jusqu’ici guère parlé.« J’étais en Inde, dit-il. Dans l’état du Haryana. J’avais passé la nuit chez une veuve. Il a beaucoup de veuves isolées en Inde. Au matin, en sortant du village, je vois un homme assis à l’ombre d’un grand arbre, un mélange de chêne pour le tronc et les branches et de saule pour les feuilles. Je m’assois à ses côtés sans rien dire. Surtout sans rien dire. Á la nuit tombée, je retourne chez la veuve et je lui demande si elle sait pourquoi il reste ainsi assis sous cet arbre. Elle me raconte que c’est l’un des fils de l’homme le plus riche du village. Il a suivi des études à la ville toute proche ainsi qu’à la capitale. Son père dit même qu'il est allé étudier dans les plus grandes écoles en Amérique. Et puis, un jour,  il est revenu et après avoir longuement devisé avec l’ancien du village, il s’est assis sous son arbre. Son père est alors allé voir l’ancien et lui a demandé pourquoi son fils s’asseyait ainsi exposé aux regards de tous. Et l’ancien de lui expliquer que son fils a en effet étudié du plus grand au plus petit élément de l’univers mais qu'il est à présent arrêté par un détail que personne n’a pu lui enseigner. Et quel est  ce détail  a demandé le père étonné que son fils si instruit et si savant ne parvienne pas à maîtriser un simple détail. Tous les chiffres du monde ne suffiront jamais à comprendre l’univers, a répondu l’ancien, si on ne les assemble pas avec son âme. (© Roland Bosquet)

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