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Chroniques d'un vieux bougon
10 novembre 2011

Jean-Louis Fournier, Veuf

        Adèle, ma chatte, va et vient devant la cheminée, s’assoit devant le foyer et me fixe longuement. Je fais celui qui ne comprend pas et demeure concentré sur le concerto pour piano et orchestre n°1 en mi bémol majeur de Franz Liszt avec Lang Lang au piano. L’homme est irritant de fatuité, mais son interprétation est fulgurante et l’orchestre Philharmonique de Vienne dirigé par Valéry Gergiev époustouflant. De guerre lasse, Adèle m’apostrophe d’un long miaulement propre à attendrir l’âme la plus endurcie. Je me résigne donc à allumer une petite flambée. Tandis qu’elle va s’allonger béatement devant les flammes qui lèchent avec gourmandise les bûches de bouleau, je me replonge dans le dernier livre de Jean-Louis Fournier, "Veuf", publié chez Stock. J’avais fort apprécié son précédent opus, "Où on va Papa ?", consacré à ses garçons handicapés, à ceci près qu'il y fait, pour moi, vraiment trop appel à l’émotion du lecteur. Il récidive avec ce nouvel ouvrage où il nous parle, (mais n’est-ce pas surtout à lui ?) de son épouse décédée. 

        « Nous n’irons plus au bois » écrit-il. C’est pourtant là, dans le silence musical des arbres, là où résident les jours de grâce et l’éternité du cœur, que, comme son nom l’indique, il retrouverait son épouse, Sylvie, "partie" dans un ultime entrechat de feuilles d’automne.  Conforté peut-être par les statistiques et un bel égoïsme, Jean-Louis Fournier pensait qu'il partirait le premier. Il aurait ainsi évité de souffrir. Mais c’est elle qui est partie. Ce qui, selon lui, ne lui ressemble pas car elle n’aurait jamais voulu, elle, le faire souffrir. Il lui reproche un peu ce départ prématuré mais avec une telle douceur et une telle tendresse que, fort probablement, elle ne lui en veut pas, là où elle est. Mais où est-elle ? Á quelle adresse lui écrire avec ce stylo en argent qui ne pourrait consigner que des mots doux et tomberait en panne si on lui demandait de tracer des "arrogant, énervant, capricieux, autoritaire" ? En réalité, elle est partout. Pas seulement au ciel comme on l’imagine toujours. Pas seulement au troisième sous-sol de ce pigeonnier des morts triste comme un parking que l’on appelle pudiquement un colombarium. Elle est partout. Dans ce trousseau de clés qui tintait comme un alléluia du Messie de Haendel lorsqu’elle ouvrait la porte à son retour. Dans son sac à main  qu'il faut bien, un jour, vider avec l’impression malsaine de fouiller. Dans le bruit du rideau de la fenêtre de la chambre. Dans le manteau rouge suspendu à sa patère  comme si elle s’apprêtait à partir faire ses emplettes sur le marché. Dans les gants de jardin  rangés dans un pot de fleurs. Comme si elle allait y glisser ses mains pour couper les roses fanées, arracher les mauvaises herbes, ratisser, planter. Elle est partout. Mais si absente à la fois que même en changeant les ampoules de la maison contre de plus puissantes, il y fait toujours sombre maintenant que sa lumière s’en est allée. Mais voici que le printemps arrive, que la nature s’éveille selon le cliché commun. Mais elle, elle ne s’est pas réveillée et les fleurs qu’elle avait plantées s’ouvrent sans elle dans un tintamarre d’oiseaux et de couleurs. Et il va falloir tailler, arracher, ratisser. Pour qu’elle n’ait pas travaillé pour rien. Peut-être même faudra-t-il terminer le livre qu’elle a laissé sur son meuble de chevet. Pour qu’elle ne l’ait pas commencé pour rien. Et il y a la maison de Charente avec ses roses trémières, ses lavatères envahissantes, ses chats qui surveillent les tourterelles, ses pommiers et ses poiriers et les arbres qu’elle avait plantés l’année précédente et qui ont bien repris. Aussi difficile de la garder que de la vendre maintenant qu’elle n’est plus là.

         Peu à peu, les souvenirs commencent à "briller comme des étoiles mortes". Ils sont pourtant innombrables. Les petits souvenirs du quotidien, les petits agacements comme les petits arrangements,  les petites joies aussi et les souvenirs plus graves qui s’impriment dans la vie avec de l’encre indélébile. De cette encre dont on imprime les livres. Les livres qu’elle avait lus, le livre qu’elle avait écrit. Le livre qu'il écrit comme une correspondance avec l’espoir qu’elle pourra le lire, puisqu'elle voit bien de loin. Un livre comme une fenêtre qui s’ouvre sur une rose. Avec les mots de la poésie et de l’humour, cette politesse du cœur. (© Roland Bosquet)

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