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Chroniques d'un vieux bougon
13 novembre 2015

Fragrances nauséabondes

fragrances

         Les cloches de l’église du village sonnent tierce lorsque je chausse mes bottes de jardinier. Le ciel est encore tout brouillé de nuit et la brume automnale enveloppe les silhouettes des arbres dans un halo propice aux chimères les plus échevelées. Les sapins ont conservé leur verdure sombre et massive dressée comme un rempart contre d’improbables envahisseurs.  Mais l’érable pourpre ne déploie plus que des branches squelettiques et les bouleaux exposent à leur sommet un toupet de vieillard cacochyme. Nul doute en effet que l’hécatombe nocturne a été terrible : le vieux chêne qui marque l’entrée de mon courtil est presque totalement dépouillé et à quelques pas de là, le tronc de l’érable commun est cerné d’un épais tapis ocre et safran qui frémit sous une fine brise venue de l’ouest chargée d’odeurs d’humus et de terre mouillée. L’automne dote les bois et les haies de couleurs généreuses. Mais ce sublime déploiement est aussi une ardente invitation pour le jardinier à empoigner son râteau et à entasser en petits monticules les dépouilles de ses victimes. Il les enfournera ensuite dans un grand sac qu’il jettera sur son épaule, tel Atlas portant le monde, et les déversera au fond du jardin dans un treillis de branches de noisetier et de frêne. Dans un an, il en récoltera un terreau de feuilles léger et naturel qui aérera la terre des rempotages à venir. Certes il est possible de laisser la nature aller son train et de se contenter d’admirer, depuis la terrasse, les camaïeux de bruns, de terre de Sienne et de grenats étalés sur le sol comme sur une toile de Marc Chagall. Mais le jardinier travaille rarement pour l’instant présent sauf à arracher une herbe indésirable, couper une fleur fanée ou cueillir une rose pour la dame de ses pensées. Il prépare plutôt la saison à venir. Et la nature lui est une auxiliaire précieuse. Car tout un jour s’y dégrade, se délite et se meurt. Mais ce qui meurt aujourd’hui enrichira demain une terre ragaillardie. Certes entre d’abord en action une lente dégradation des éléments. Les moisissures s’installent, la pourriture se répand, la putréfaction consume. Mais mois après mois, tout se transforme en azote, en potasse et en sels minéraux où puiseront au printemps les nouvelles fleurs, les nouveaux légumes, les jeunes rameaux des noisetiers et des houx, les baliveaux de châtaigniers comme les ormes séculaires. Dans la nature, la fin n’appelle jamais qu’une future renaissance. En avril ou en mai, le jardinier remplira sa brouette de compost qu’il enfouira dans son potager en quelques coups de bêche. Il plantera des poireaux, des choux et des salades, il sèmera des radis, des haricots et des courgettes. Avec, dans le regard, les promesses assurées de récoltes opulentes. Hélas, peut-on dire aujourd’hui que les relents de corruption qui empoisonnent les stades et inondent nos écrans de télévision et les colonnes de nos journaux seront aussi féconds ? Le botrytis-cinerea aime à contaminer les raisins et apporter ainsi des arômes subtils et délicats si appréciés dans les vins liquoreux. Les substances délétères de toutes sortes et les trafics d’argent dont on parle secrètent au contraire les effluves nauséabonds d’une morale en décomposition. Quelles moissons en attendre pour demain ? Voilà qui laisse bien des choses à penser à propos des chemins avariés du passé.

(Suivre les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)

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Commentaires
L
Merci beaucoup, je pense que mon père se serait senti en harmonie avec ce que vous avez écrit et j'en suis très émue. J'ai lu votre commentaire sur la réflexion de votre médecin, vous avez sûrement raison.
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M
Cet article me fait penser à mon voisin qui m'énerve au plus haut point. Après avoir tondu chaque semaine tout l'été ses 8.000m2, même pendant la canicule, il accroche derrière sa tondeuse un ramasseur de feuilles qu'il fait fonctionner toutes les semaines jusque Noël. Il jette tout, n'ayant pas de potager ni de fleurs.
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L
quel beau billet sur une pourriture qui se profile à un l'horizon très proche. Mais l'espoir demeure
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F
Il y a belle lurette que l'on n'aurait jamais du considérer le sport autrement que comme un loisir bienfaiteur et nécessaire à tous... à moins qu'il ne constitue à lui seul qu'un mauvais résumé de tout ce que l'humain comporte d'ombre et de pire ? <br /> <br /> Tu sais sans doute qu'on ose parler de "boxe éducative" !? Oser apprendre aux enfants à frapper la tête de l'autre, cette enveloppe protectrice de ce que chaque humain a de plus précieux... <br /> <br /> Personnellement, bien qu'ayant toujours eu une pratique que d'aucuns pourraient qualifier de sportive, je n'ai jamais que bougé mes fesses autour du monde qui m'entoure et de moi-même.<br /> <br /> Avant de retourner à mes feuilles mortes, je vais chausser mes croquenots pour retourner voir un peu au pied des roches où de souples acrobates s'amusent comme des enfants.<br /> <br /> Merci une fois de plus vieux bougon. Considérons que le jardinage est un sport bien utile !
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L
En ce moment nous récoltons les olives...Tu ne peux pas imaginer ce que ça fait du bien...
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