Sauver la planète.

Ils n’étaient que cinq cents place de la Nation mais par un prompt renfort, ils se virent quinze mille au parc de Bercy. Les calicots flottaient au vent arborant des slogans multicolores dignes d’une foire du Trône. Jeunes et moins jeunes, hommes, femmes, enfants, syndicalistes, gilets jaunes, policiers  et black blocks chantaient, souvent faux, des refrains entraînants qui stimulaient leurs ardeurs. L‘enjeu était de taille : sauver la planète ! Car l’heure est à l’urgence. La Terre se meurt ! La Terre est morte ! La sauver, aujourd’hui, relève du défi, oblige au dépassement de soi, pousse à la démesure, justifie l’outrance. Conscients de la gravité des temps, de plus en plus nombreux sont ceux qui investissent désormais toutes leurs forces dans ce combat titanesque digne des Sisyphe et Atlas réunis.

Sans aller malgré tout jusqu’à renoncer à leur smartphone, ils n’hésitent plus, par exemple, à enfourcher leur bicyclette électrique ou même leur trottinette pour se rendre qui sur les berges de la rivière voisine, qui sur la berme des routes départementales, qui dans le sillage des manifestions pour ramasser les détritus abandonnés par des indélicats n’ayant pas encore pris la mesure du péril.

Grâce à ces militants désintéressés bientôt le ciel se dégagera, les canicules s’adouciront et les tempêtes se calmeront. Le climat retrouvera sa paix d’antan, le niveau des océans rebaissera, dégageant de nouvelles plages ensoleillées pour les vacances d’été, et la forêt bienfaitrice s’étendra jusqu’aux portes même des villes. Les moteurs à explosion ayant été boutés vers les campagnes rétrogrades, l’air y sera redevenu sain, les enfants en bas âge pourront respirer à plein poumons dans leur poussette et les personnes âgées trottiner de nouveau sur leurs trottoirs réservés.

En réalité, ils ne font guère que du ménage ! Et après leur passage, les services municipaux ramasseront, à leur tour, les canettes de bière ou de soda, les papiers gras et les reliefs de leurs pique-niques citoyens. Sans se payer de mots grandiloquents. Sans jeter de grandes phrases alambiquées vaguement teintées de science et de technique grappillées au hasard d’internet. Propos qui retomberont inévitablement sur le bitume des terrasses obligeant le serveur émigré payé "au noir" à passer le chiffon sur la table en plastique autour de laquelle ils auront refait le monde à leur image et à pousser d’un coup de balai énergique vers les caniveaux déjà bien encombrés les résidus improbables de leurs logorrhées sentencieuses. Mais le mantra fait recette. Sauver la planète tient la "une" des médias et colore les discours politiques. Qui n’est pas écologique est aujourd’hui rejeté de la société.

Hélas, cette écologie peut être à géométrie variable. On peut très bien se dire "écolo" parce que l’on fait son "jogging" en forêt de Saint-Germain en Laye et s’y rendre en voiture. On peut se penser "écolo" parce qu’on jette dans le composteur de l’immeuble les épluchures de salade achetées au marché du quartier quand bien même viendraient-elle de traverser le Pays en camion réfrigéré. On peut se croire "écolo" parce qu’on consomme du quinoa sans pesticide, même s’il arrive du Chili par avion-cargo. L’écologie est désormais à la portée de chacun.

C’est pourquoi la ménagère qui passe la since sur le carrelage, le chiffon sur les meubles, la vaisselle au savon noir et le linge sale familial à la lessive sans phosphate est en droit d’estimer qu’elle aussi sauve chaque jour la planète puisqu’elle nettoie ! On voit par-là que l’avenir du futur nous réserve, décidément, de bien beaux jours écologiques.

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Comments

[Cotonet]

La since! On dit la since en Limousin aussi? Je croyais que c'était uniquement dans l'Ouest. Mais laissons cette remarque linguistique, je suis d'accord avec vous sur le fond.

[Anne-Marie]

Cela fait du bien à lire.

Je répète à peu près la même chose en me faisant vilipender à chaque fois :-)

[Loulou le filou]

On est dans la mouïse...

[F6Mig]

Chaque jour apporte sa recette idiote de prêt à penser.

Sauver la planète..., la belle affaire !

Arrête les cotons-tiges et le diesel, bannit la viande et les pailles, éteint tes voyants en veille... et laisse-les ramasser 600 000 touristes qu'ils ont expédié sur la planète bleue en rêvant de vacances astronomiques.

[mimi1931]

Avant guerre, nous étions tous écologiques sans le savoir. Mais les industries chimiques et métallurgiques ainsi que les grands transports et l'atome ont rapidement fait leur apparition. On se demande où est le progrès.