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Chroniques d'un vieux bougon
17 février 2020

Vivre au village 01

vivre_au_village

L’affaire devait arriver un jour sur le devant de la scène et la boulangerie du village en être le théâtre. Elle a éclaté le jour où, ayant pris un jour de congé pour garder à la maison ses deux enfants de 6 et 8 ans pour cause d’absence de leurs institutrices en grève, Martine, la secrétaire de mairie, a traversé la rue pour acheter sa baguette tradition et a révélé à l’auditoire l’entretien, houleux, que le futur ancien maire avait eu, la veille, avec la dame du bijoutier de la Grand Rue de la ville voisine qui habite depuis l’été dernier l’ancienne maison de la défunte couturière.

 Elle ne se plaignait pas de quelque vice caché qu’elle aurait décelé par exemple dans la charpente, dont tout le monde sait au village qu’elle aurait besoin d’être refaite parce qu’elle est complètement infestée de capricornes. Elle ne se plaignait pas non plus d’un mauvais écoulement des eaux usées même si chacun sait que les conduits, bien que jugés conformes par l’expert, débouchent sur ce que l’on appelle une "mouillante", une cuvette d’argile qui bouche l’antique puits perdu aménagé jadis par les grands-parents de la couturière lors de la construction de leur propriété. Non, elle se plaignait du bruit du tracteur et de l’engin d’épandage d’un agriculteur voisin qui, au courant des dernières méthodes modernes de culture raisonnée, et notamment en matière d’enrichissement des sols, répandait en pleine nuit le fumier de ses vaches dans le champ mitoyen avec son courtil.

C’est le problème avec ces gens de la ville, conclut l’ancien garde-champêtre revenu de l’hôpital une semaine plus tôt à la suite d’une mauvaise chute dans son escalier et qui ne se déplace plus sans sa béquille anglaise. Ils n’y connaissent rien à la campagne, à la nature et au travail de la terre mais ils donnent des conseils de traitement aux plus expérimentés des paysans et après, ils viennent geindre dans le giron de l’administration quand ce n’est pas celui de la justice à la moindre odeur autre que celle des voitures ou au moindre bruit autre que celui de la circulation. Vous verrez, demain, elle nous reprochera non pas la lumière du lampadaire qu’il a fallu planter à l’entrée de sa cour et qui ne sert à rien mais de celle de la lune rousse qui l’empêchera de dormir.

Et la discussion de bifurquer derechef sur l’interdiction du glyphosate qui serait si nocif pour la santé mais qui sera évidemment remplacé par d’autres produits dont on ne connaît pas les effets et qui se révèleront tout aussi nocifs sinon plus. Justement, parlons-en du glyphosate, intervient le chef-cantonnier qui devrait être sur le chantier à la sortie du village mais qui s’est réveillé trop tard pour partir avec ses gars. À la commune, on n’en met plus dans les allées ni sur le parking devant la salle des fêtes, on respecte la loi. À la place, au printemps, ils vont tout goudronner, comme çà…

Vous saviez, demande la jeune femme du boucher qui ne devrait pas tarder à accoucher selon les calculs savants de la mère de la pharmacienne, vous saviez qu’ils vont aussi interdire la poudre contre la germination des pommes de terre ? Alors moi, coupe Jean-Louis qui travaille à la Poste mais qui est en arrêt maladie depuis six mois, si c’est vrai, je n’en fais plus au potager ; cela ne servirait à rien puisqu’elles ne pourront pas se garder jusqu’à l’année suivante. C’est un prétexte pour en faire encore moins, intervient Marie-Claire, la première adjointe au maire qui ne se représente pas aux prochaines élections et qui peut ainsi dire ce qu’elle veut à qui elle veut sans craindre qu’il ne vote pas pour elle ; tu n’auras qu’à enlever les germes voilà tout ! Le samedi matin, au lieu d’aller à la pèche ou au bistrot, hop, tu te mets à genoux dans ta cave et tu épluches tes pommes de terre !

Et l’assistance de rigoler mais la mère du garagiste de l’étang ne trouve pas cela amusant du tout. Ne fais pas ta maline, toi, parce que ton gendre, il ne fait pas le jardin et tu achètes tes pommes de terre au supermarché ; alors, est-ce que tu en achèteras avec des germes ? Ben non, hein ? Alors les magasins n’en vendront plus puisque personne n’en achètera plus et tu devras acheter de la purée industrielle pour donner du hachis-parmentier à tes petits-enfants le mercredi ou pour  accompagner le boudin que tu aimes tant ! Une volée de oh! et de ah! clôt la discussion et chacun regagne ses pénates.  De toute façon, marmonne l’ancien garde-champêtre entre ses dents en calant son béret sur sa tête et sa baguette sous son bras, j'm'en fiche, j’aime pas l’boudin !

Ainsi va le progrès qu’il progresse tellement vite qu’il va bientôt dépasser l’avenir du futur. (Lire Pourquoi les paysans vont sauver le monde de Sylvie Brunel aux éditions Buchet-Castel)

à suivre...

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Commentaires
L
L'avenir du passé, c'est là qu'il faut retourner avant qu'il ne soit trop tard !
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