Les paranthropes
Au début, Australopithèque en avait peur et hésitait à s’éloigner de son arbre. Les grondements de tonnerre qui font trembler l’air, les éclairs qui traversent le ciel devenu noir, le spectacle des onyx, gazelles et antilopes qui s’enfuient en tous sens et celui des flammes qui jaillissent d’un coup et embrasent les herbes sèches de la savane sont toujours impressionnants. Mais Erectus, son héritier, apprit bientôt à maîtriser ce feu en le conservant entre quatre pierres dans un recoin de son abri. Il fallait bien sûr l’approvisionner régulièrement faute de quoi il s’éteignait. Mais il éclairait la nuit, éloignait les fauves et apportait une douce tiédeur goûtée des femmes et des enfants. Puis il s’aperçut, au hasard peut-être d’une maladresse, que la viande était moins dure à mâcher lorsqu’elle y avait été exposée, qu’elle était plus goûtue et sa digestion plus aisée.
De nombreux millénaires plus tard, son descendant, Sapiens, inventera des fours pour fabriquer des armes propres à embrocher ses adversaires sur les champs de bataille et des cuissots de chevreuil, des cochonnets bien gras et des poulardes bien dodues au-dessus d’un épais tapis de braises. Plus tard, dans les vastes prairies américaines, les vachers qui avaient chevauché tout le jour pour surveiller leurs troupeaux de bœufs appréciaient une ou deux cuisses de lapin rôties sur un "barbecue" de fortune. À l’école de la survie où la débrouillardise est reine, les boy-scouts pérennisèrent cette habitude.
À la fin du siècle dernier, la mode du "retour à la nature" s’en emparera. On vit fleurir à l’été sur les pelouses des pavillons de banlieue des "barbecues" de plus en plus élaborés. Sempé immortalisera la scène dans un dessin plein d’humour où l’on voit un nuage noir surplomber tout un lotissement et sur chaque carré d’herbe verte tondue bien rase, un homme faire griller ses saucisses, merguez et entrecôtes sur le charbon de bois. On n’utilise plus guère de nos jours ce moyen archaïque. On le remplace souvent par le gaz, moins polluant et surtout moins salissant ; on privilégie même de plus en plus la "plancha" à la fois plus exotique et moins nocive pour la santé.
Mais en ce début de troisième millénaire, une nouvelle pratique semblerait vouloir s’imposer : le "véganisme" ou le refus de consommer tout produit issu des animaux ou de leur exploitation. Adieu donc aux rencontres festives et conviviales autour du "weber" dernier cri et place à l’austère haricot vert, à la courgette sans saveur et au chou brocoli ! Érectus doit d’autant plus se retourner dans sa tombe que certains de ses ancêtres adoptèrent déjà ce régime alimentaire exclusivement végétal.
Il y a deux millions d’années en effet, la grande famille des australopithèques se divisa en deux branches principales. L’une choisit de consommer des nourritures globalement moins coriaces, dont la viande, et inventa les recettes de cuisine et les chefs étoilés pour les apprêter. L’autre s’orienta vers toujours plus de végétaux, racines et tubercules excluant toute origine carnée. La première vit la taille de ses dents diminuer, ses mâchoires s’alléger, ses muscles masticatoires rétrécir et son cerveau gagner en volume et en capacités cognitives. La seconde, dite paranthrope, vécut la métamorphose inverse. La fameuse Lucy en est l’un des plus beaux spécimens.
Hélas, l’Évolution se révèlera impitoyable envers elle. Tandis que ses cousins carnivores donnaient naissance au genre Homo, sa parentèle directe déclinera au point de disparaître. Le même destin attend-il nos végétariens et autres "vegans" ? La nature aurait-elle conçu ce stratagème pour limiter à son insu la surpopulation de la race humaine ? L’avenir du futur le dira peut-être.