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Chroniques d'un vieux bougon
3 novembre 2020

Randonnée normande

chrysentheme

Comme chaque année en cette saison, je retrouve mes terres normandes où reposent désormais les miens afin de les assurer de mes plus fidèles pensées. Mais c’est aussi l’occasion de retrouver les lieux et les amis d’enfance.

 L’ancienne ferme familiale avec son étable, son jardin potager, ses haies et ses pommiers, aujourd’hui reconvertie en résidence secondaire pour Parisiens en mal de verdure. La route qui la relie au village en serpentant entre les champs de betteraves et les semis de blé et qui semblait interminable lorsqu’il fallait, chaque matin rejoindre l’école communale. La venelle qui longe le cimetière et descend jusqu’au lavoir désormais à l’abandon où dansaient, au printemps, des colonies de têtards. Le muret de pierres sèches que nous escaladions en cachette pour piller, telle une volée de moineaux, le cerisier du curé qui faisait semblant de ne rien voir.

 Dans la Grand-Rue commerçante, la boucherie n’a pas changé d’aspect depuis un siècle au moins comme le montrent les cartes postales fièrement exposées en vitrine. En face, l’épicerie s’est donnée des allures de supérette mais la caissière à la mine revêche ne distribue plus de bonbons aux enfants sages comme autrefois. L’office notarial a émigré au chef-lieu de canton, abandonnant derrière lui des locaux vides aux volets de guingois et aux vitres cassées. La boulangerie où la monnaie se transformait en caramels n’exhale plus les chaudes odeurs du pain à la sortie du four, elle n’est plus qu’un simple dépôt approvisionné par le fournil industriel de la ville. L’atelier du bourrelier n’exhale plus ses âcres relents de cuir, de colles et de mauvais vin, le garage spécialisé dans les Juva4 et les 2CV a fermé sa lourde porte de fer et le bazar "Au chic parisien" a laissé place à un moderne salon de coiffure pour dame.

 Mais j’arrive au bistrot-restaurant-bureau de tabac-journaux où mon père achetait chaque mois son dixième jamais gagnant des "Gueules Cassées" de la Loterie Nationale. M’y accueillent en guise de retrouvailles deux conscrits aux cheveux blanchis sous le harnais. Michel qui figurait toujours en bas de classement du CP au Certificat d’Études et accéda à une belle carrière dans les assurances et Jean-Louis qui s’enorgueillissait d’être le fils du maire et futur héritier de la Quincaillerie Générale et se fit d’abord manouvrier avant de se lancer dans la construction de pavillons individuels. Et à côté d’eux, Isabelle à la crinière toujours aussi exubérante et colorée, dont nous étions tous bien sûr fous amoureux, et surnommée la Sauterelle à cause de ses longues jambes fines comme des allumettes qui posa pour la réclame avant d’épouser un obscur député et de monter à la Capitale.

 Un menu typiquement normand digne d’une chronique d’Alexandre Vialatte nous attend mais surgissent aussitôt en escadrille les terribles oukases de la Faculté, cholestérol, diabète, ostéoporose, surpoids… Et chacun de choisir sobrement, après les huitres chaudes au pommeau, qui un filet de sole et ses petits champignons, qui une escalope de veau à la crème, qui une cuisse de faisan flambé au calvados, qui une tranche de gigot d’agneau de présalé avec ses flageolets, avant de savourer cidre bouché et camembert à point et de finir avec la teurgoule et sa fallue.

 En réalité, ce sont les rappels du passé qui constituent désormais le véritable plat de résistance car que cherchons-nous d’autre à travers ces traditionnels pèlerinages sinon à raccommoder un destin effiloché au fil des ans en renouant, ne serait-ce que quelques heures, avec des souvenirs tantôt tissés de rires et de silences pudiques, tantôt chantournés de panaches et d’équipées sauvages, tantôt ourdis d’anecdotes approximatives et si souvent hélas brodés d’aléas aussi incontournables  que ces actuelles péripéties covidesques qui font voler en éclats toute perspective de rencontre.

Chacun gardera donc le chaud à la maison mais non sans avoir au préalable et parfois in extremis déposé au pied des tombes un flamboyant chrysanthème qui témoignera non seulement de notre constant amour filial mais aussi de notre nostalgie des jours d’antan

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Commentaires
L
Souvenirs, nostalgie...Gigot d'agneau de présalé avec ses flageolets.
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