Babioles et brimborions.
Les gelées matinales ont brûlé les fleurs des chrysanthèmes postés au pied des tombes et un modeste parterre de manteaux encercle la fosse creusée la veille par les agents des pompes funèbres. Imperturbable, le diacre ânonne les prières du rituel suivi de l’adjoint au maire qui égrène son petit discours d’adieu à la doyenne de ses administrés emportée par la bête covidesque : tu aimais la nature, le chant des oiseaux, les poètes et les anges, Catherine, alors repose en paix car chacun ici se souviendra de ton courage et de ta gentillesse !
En réalité, arrivés de Pologne au milieu des années folles, ses parents l’avaient baptisée Katarzyna sur les fonts baptismaux d’un village proche de Decazeville. Le hasard des rencontres l’avait conduite en nos contrées égarées pour épouser un métayer sur un vaste domaine aujourd’hui démantelé. Elle avait travaillé dur d’abord dans les champs puis dans les ateliers de porcelaine de la Grande Ville et élevé une famille nombreuse aujourd’hui dispersée de par le monde.
Armé de ma boite de macarons, elle adorait les macarons, je lui avais rendu visite deux mois plus tôt et rencontré à cette occasion l’une de ses petites-filles et son fils venus de leur Aquitaine voisine. Blotti au fond d’un jardinet abandonné à lui-même, son petit pavillon ne payait pas de mine et ne devrait guère intéresser les urbains en mal de campagne. Il regorgeait néanmoins de lourds meubles en chêne massif, d’authentiques croûtes fièrement accrochées aux murs et d’un capharnaüm de bibelots au baroque délibérément ignoré que le jeune adolescent boutonneux et grognon qualifiait de moches, d’horribles et d’inutiles. Pourquoi elle garde tout ça, ne cessait-il de répéter à sa mère ? Ça ne vaut pas trois sous !
Ah toujours ces références mercantiles ! Ce n’est certainement pas leur valeur marchande qui a incité la "Cati" comme chacun l’appelait à non seulement conserver ces objets hétéroclites mais aussi à les exposer au milieu de cadres dépareillés aux photos jaunissantes sur le guéridon recouvert de son napperon de coton, sur le buffet de style basque où perle une poussière de plusieurs semaines d’abandon ou entre les assiettes de Limoges dans le vaisselier en merisier. En avait-elle même acheté un seul ? Toutes ces "affreusetés", comme dit le jeune garçon, n’étaient probablement que des cadeaux venus de droite et de gauche et tenaient leur importance, non pas du prix indiqué sur l’étiquette, mais de celle du donateur.
Telle plaque de marbre agrémentée d’une scène de chasse en cuivre repoussé lui avait été offerte par l’Amicale des Chasseurs lors du décès de son époux et lui rappelait sans doute chaque jour les années heureuses qu’ils avaient partagées. Telle faïence de Delphes lui venait de l’un de ses fils qui avait établi son foyer aux Pays-Bas. Le coucou de la Forêt Noire accroché au-dessus de la cheminée évoquait la visite improbable d’une lointaine parentèle venue de Poméranie. Cette ébauche de cariatide aux couleurs criardes et maladroitement vernie avait été modelée jadis par une petite voisine qui continuait à lui rendre des visites amicales. En un mot, chacune de ces babioles sans intérêt pécuniaire ni même artistique ne tient son prix que de sa capacité à rappeler les liens entre le donateur et la vieille dame.
Que le jeune homme ne leur reconnaisse que fort peu d’utilité était compréhensible puisqu’il n’était en rien concerné et la vieille dame ne lui en tenait pas rigueur, se contentant de lui retourner un petit rire aigrelet qui secouait ses épaules enfouies sous les châles et les foulards aux couleurs passées. Tout ce fatras, comme il disait, rejoindra demain quelque entrepôt de brocanteur en quête de bonnes affaires. En d’autres temps ou d’autres civilisations, toutes ces "bagatelles" auraient entouré le corps de la défunte pour l’aider à poursuivre sa route dans l’autre monde. Mais on ne respecte plus grand-chose de nos jours et on ne croit plus à rien, on compte.