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Chroniques d'un vieux bougon
22 décembre 2020

Fêtes de solstice.

noel

Si le ciel se montre clément et avant de plonger derrière les collines, le soleil couchant aime à décorer les sapins de mon courtil de guirlandes festives dignes d’une fin d’année écologique. Mais sans même attendre le passage du solstice, l’hiver s’illustre déjà cette année de froidure et de pluie.

Lorsque j’étais gamin, à la mi-temps du siècle dernier, il était de tradition, en dépit de ces intempéries, d’assister à la messe de minuit. Messe solennelle avec enfants de chœurs et thuriféraires, cantiques aux suaves mélodies qui enrobaient l’âme d’une douce indolence et prêche du curé exhortant les fidèles à l’amour du prochain et à la charité chrétienne. Mon père, lui, restait à la maison pour, prétendait-il, alimenter la cuisinière en bûches de pommier dont ses clos normands ne manquaient pas. Il avait surtout l’art de préparer un épais chocolat chaud qui soulageait nos engelures à notre retour. Mais au fil des temps modernes et faute de pratiquants, ces cérémonies ont peu à peu déserté nos villages et le modeste réveillon est aujourd’hui remplacé par de riches agapes familiales qui n’ont plus rien de mystiques.

Or les actuelles péripéties covidesques bouleversent encore un peu plus les coutumes. Alors, au lieu de prendre des risques pandémiques dans les grands magasins à la recherche de foie gras, cuisses de dinde et pâtisseries, je m’installe sous la halle communale de la ville voisine derrière la planche de distribution de repas "à préparer soi-même". Engoncé dans ma gabardine et cache-col remonté jusqu’aux oreilles, j’étale conserves, cochonnailles sous cellophane et autres denrées de première nécessité. À quelques pas de là, fume dans sa marmite une soupe de légumes de saison dont les arômes se dissipent trop vite lorsque Georgette, qui l’a préparée, soulève le couvercle pour remplir d’une louche généreuse des bols en plastique qui brûlent les doigts et sur la petite place balayée par un glacial vent de bise deux ou trois ados encapuchonnés se chamaillent en riant trop fort pour tromper leur ennui.

Les premiers bénéficiaires envoyés par la mairie arrivent rapidement dans un concert d'éternuements, raclements de gorge et conversations étouffées. Pas chaud, hein, grogne Paulette ! En garnissant son cabas, je lui demande des nouvelles de Bernard, à moins que ce ne soit Bertrand ou bien Baptiste, toujours le mot pour rire, vous ! Et elle repart en boitillant à cause de ses chaussures usées jusqu’à la corde. Derrière elle, Greg s’inquiète : Marie-Claude n’est pas là ? Elle garde ses petits-enfants, pourquoi ? Tu lui diras qu’ils m’ont pris pour un mois. Ah, c’est bien et à quoi ? Ben, à la manut. tiens ! Tu veux des poireaux en plus des nouilles ? Gardes tes poireaux, tu lui diras à Marie-Claude, hein ? Et de redresser la tête comme quelqu’un qui vient de décrocher l’emploi de sa vie ! Betty, elle, veut bien des poireaux mais pas de chou parce que ça sent et que, dans son gourbi comme elle dit, elle en aurait pour la semaine, même avec la fenêtre qui ferme mal ! Long et dégingandé dans un chandail trop large pour lui, Amir avoue que sa copine et lui en ont marre des pâtes, et puis, ils n’ont rien pour vraiment faire cuire, tout juste réchauffer. Rémi, encore engourdi par une énième mauvaise nuit passée dans le local à poubelles d’un immeuble HLM, demande entre deux quintes de toux un bon bout de pain et du fromage, avant de se faire harponner par Michelle, la secrétaire, qui se charge de lui trouver un gîte.  Emmitouflée dans un long manteau rouge et agrippée à son téléphone, madame l’adjointe aux affaires sociales passe dire bonjour. C’est d’accord pour un espace sur le marché de centre-ville, la veille de Noël ! Le chef du restaurant où j’ai mes habitudes et la cantine municipale nous concocteront pour l’occasion des barquettes de repas de fête "à emporter" avec une boite à cadeaux dans leur emballage-spécial Noël.  Et voici Lisa, son masque peine à dissimuler la pâleur de son teint et la maigreur de ses joues mais ses yeux tentent malgré tout de sourire. Sa fille, Zoé, trois ans et demi et un visage d’ange, se glisse sous l’étal et tire sur ma manche, je la hisse au milieu des pommes de terre et des carottes et sors de ma poche une madeleine où elle croque en minaudant…

Et suivent ainsi Gilbert, Chloé, François, Suzanne, Kévin et trop d’autres dont les noms m’échappent encore. Trop d’autres en quête eux aussi d’un peu de chaleur et de bienveillance. En quête d’humanité.

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Commentaires
L
Un bien triste récit que celui-ci. Pourtant, quand tu évoques le chocolat après la messe de minuit, je me rappelle que mes parents faisaient de même. Une pensée émue pour ces années d'enfance choyée désormais loin derrière moi... <br /> <br /> Oui, tu écris une sorte de long monologue parce que tu croises des misères ordinaires, de gens qui souffrent de manques et dont la fortune n'est pas au pot. Une expression forte : ses yeux tentent de sourire. Ca en dit davantage que de longs discours. Il semble que de côtoyer une certaine misère te fait te sentir un peu plus privilégié que ceux que tu croises et pour lesquels tu ressens comme un élan fraternel.
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L
Heureusement il y a encore de l'humanité.
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F
Merci Roland
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