Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
4 mai 2021

Echapper à la morosité.

morosite

Le quotidien nous impose à chaque heure du jour et de la nuit son lot de protocoles convenus. Se lever à l’heure du passage du car de transport scolaire (lorsqu’il n’est pas confiné ou en vacances !) et boire un chaud mélange de kwilu du Congo et de moussonné du Vietnam en imaginant des paysages exotiques pour respecter les habitudes. Chausser des bottes de sept lieues et s’armer d’un bâton de coudrier ou, comme ce matin, d’un parapluie pour saluer comme il se doit les arbres de mon courtil, au risque certes de déranger les pigeons établis dans l’ombre des sapins ou d’effrayer le couple de perdrix qui nichent à quelques pas sous les bruyères mais qui seraient malgré tout une belle et noble rencontre. Cueillir au potager une petite botte de radis et couper une poignée de roquette pour le repas de midi mais renoncer à jouer de la binette pour éliminer quelque adventice pour cause de terre lourde et grasse. Et rentrer à la maison en s’ébrouant comme un chien qui sort de la rivière et regretter quelques secondes le temps pas si lointain où les flammes dans la cheminée ourlaient encore de leurs boucles blondes une bûche de frêne ou de fayard libérant une douce tiédeur qui chassait l’humidité ambiante.

Puis tenter de joindre les amis ou connaissances qui ont pris la peine d’appeler pendant votre absence mais hélas souvent en vain parce qu’ils sacrifient eux aussi aux mêmes exigences que vous. S’asseoir devant l’ordinateur et attendre de longues minutes que la liaison téléphonique, aléatoire à la campagne, condescende enfin à vous donner accès à internet et aux messages publicitaires qui encombrent votre boite à courriel. Faire défiler sur l’écran les premiers mots de la présente chronique qui vous sont venus à l’esprit alors que vous vous interrogiez sur l’âge du sanglier qui, dans la nuit, a traversé la palisse en abandonnant quelques soies sur un tronc de vinaigrier, laissé de profondes traces de ses ongles sur la pelouse et retourné la terre de son groin au pied des acacias. Effacer cette anecdote de peu d’intérêt et qui ne mène nulle part pour commencer par une belle citation de Victor Hugo ou d’un poète inconnu du treizième siècle comme on étale sa culture pour en masquer la modestie. Mais les duettistes de la Radio, Rodolphe et Émilie, se disent joyeusement "au revoir à demain" et vous rappellent, sans le savoir, la fatuité de votre démarche.

Alors que l’indicatif d’Allegretto jette dans l’air quelques notes guillerettes qui contrastent avec la pluie qui ruisselle sur les carreaux, la factrice toque à la porte de la cuisine ; elle apporte comme convenu le livre qu’elle a retiré pour vous à la Librairie Bleue de la ville voisine. Elle s’ébroue à son tour, entre en grognant, pataude et maladroite, s’installe sans vergogne sur la première chaise venue et accepte sans barguiner un café bien chaud en guise de remerciement. Et suit la litanie de ses petites aventures, ses regrets à peine dissimulés et ses quelques espoirs laissés par les contingences covidesques. Lorsqu’elle repart en jetant un "bon faut y aller" désabusé, Denisa Kerschova annonce de son accent inimitable La Nuit sur le Mont chauve de Moussorgski. Scandée par le vrillement acidulé des cordes, le grognement sombre des cuivres et le martellement chaotique des percussions, la mélancolie de l’âme russe envahit bientôt la maison comme pour la mettre à l’unisson avec le ciel.

Quoi de mieux, dans ces conditions, que de s’enfoncer dans un transat et de laisser libre cours aux songes et à la méditation ? Aveuglés par la contemplation satisfaite de notre nombril, nous sommes trop souvent aveugles au monde. Assourdis par nos propres logorrhées, nous sommes plus sourds encore aux autres. Seule une rêverie vagabonde peut nous aider à sortir de notre confinement narcissique et, en définitive, à nous ouvrir réellement à nous-mêmes. (La nuit, j’écrirai des soleils, Boris Cyrulnik, éditions Odile Jacob et Petit éloge du transat, Vanessa Postec, éditions Les Pérégrines))

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Chaque fois que je lis l'un de vos textes, je visualise à travers vos mots ce dont je ne jouis pas au quotidien. Je rêve grâce à vous de la campagne et de sa douceur. En peu de mots, je vous envie ce confort particulier en même temps que des bruissements et des silences de ces lieux.
Répondre
A
Prudence ! Protégeons encore les plants de tomates de la morosité ambiante ... Dans une dizaine de jours ils pourraient sortir sans trop de risques de la véranda .
Répondre
L
Attention, les seins de glace ne sont pas passés.
Répondre
L
Il faut repiquer les tomates, bonne journée.
Répondre
Chroniques d'un vieux bougon
Publicité
Chroniques d'un vieux bougon
Albums Photos
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité