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Chroniques d'un vieux bougon
3 juin 2022

Friche ou gazon ?

verdure

« …Je voudrais courir le monde lointain…si tout n’était pas si vert, là-bas, dans les bois et les champs… Je voudrais pleurer sur les prairies vertes et les voir pâlir jusqu’à la mort. » Ainsi s’exprime le héros du poème de Wilhem Müller La belle Meunière* mis en musique par Franz Schubert. Le jardinier ne serait guère éloigné, parfois, de partager cet accablement face à la tâche qui l’attend. 

Omniprésente, la verdure recouvre tout, les palisses, les frondaisons, les landes, les bocages et le moindre buisson sans oublier, bien sûr, la pelouse. Certes, çà et là, y pointent les inévitables fleurs jaunes des pissenlits et serpentent à leurs pieds entre trèfle et pâquerettes les liserons constellés de clochettes blanches aux sucs avidement convoités par des nuées d’abeilles et de papillons. Certes, jaillissant des profondeurs chtoniennes tels des périscopes espions, les taupinières dressent leurs sombres taches terreuses où picorent avec gourmandise une armée de merles et de moineaux. Certes, dans les parterres en bordure ensoleillée des haies, les roses et les pavots d’Orient ajoutent leurs rouges chatoyants. Mais amande ou céladon, menthe, olive ou chartreuse, c’est l’implacable couleur verte qui dévore tout.

Le ciel peut s’adonner tout un jour au bleu, du bleu de roi à l’aube au bleu turquoise de midi, du bleu électrique avant l’orage au lapis-lazuli à la nuit tombante. La brume automnale peut s’en emparer jusqu’à masquer la courbe des collines, les cirrus le voiler au point de dissimuler les étoiles et les galaxies, les cumulus y dessiner de grosses boursouflures que le soleil couchant panache de reflets d’ors, les cumulonimbus peuvent annoncer la bourrasque ou, les jours d’été, rassembler à l’horizon mille moutons paissant paisiblement l’éther immobile. Le ciel est divers et changeant. Mais le printemps venu, c’est la couleur verte qui impose sa dictature sur la campagne.

Les techniciens, qui ont depuis longtemps oublié Virgile, Ronsard et Lamartine, évoqueront doctement la chlorophylle, ce pigment végétal des feuilles qui régulerait par ailleurs le transit intestinal, aiderait à la cicatrisation des blessures, soulagerait les démangeaisons des inquiets, stimulerait les défenses immunitaires des anxieux et diminuerait l’hypertension des citadins stressés. Ils décrypteront ensuite la photosynthèse* qui, grâce à l’énergie solaire et à travers les chloroplastes, les thylacoïdes et autres cytochromes, transforme le CO2 de l’air en glucose qui s’alliera à l’azote du sous-sol collecté par les enzymes mycorhiziens pour nourrir la plante. Tous miracles de la nature indispensables à la vie sur notre planète en général et à la nôtre en particulier. Mais pourquoi cette fameuse chlorophylle dégage-t-elle uniquement la couleur verte ?

Le jardinier sait bien toutefois que cette tyrannie n’est que transitoire. Dès le solstice d’été, l’herbe jaunira et se fera craquante sous le pas ; les pluies de septembre la reverdiront peut-être ainsi que les plantains, renoncules et autres adventices mais les bouleaux libèreront déjà leurs écus aux nuances cannelles ; passé l’équinoxe, les hêtres, érables et châtaigniers offriront un festival de pastels ocres, safrans et terre de sienne ; et face aux brises hivernales, les sapins seront alors les seuls à oser une touche verdâtre au cœur de la grisaille environnante.

Mais le jardinier sait surtout que quelles que soient les teintes enluminant son paysage, il lui faudra, encore et toujours, chevaucher sa tondeuse et arpenter son gazon afin de n’avoir pas l’impression de vivre en sauvage au milieu d’un terrain vague en friche. Ce qui devrait laisser bien des choses à penser aux amateurs de farniente et de terroir "authentique" !                  (*Die schöneMüllerin, Wilhem Müller, traduction Catherine Godin et Franz Schubert par le ténor Askel Schiøtz et le pianiste Gérard Moore / *6 CO2 + 6 H2O + énergie lumineuse → C6H12O6 + 6 O2).

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Commentaires
A
Chlorophylle ou pas, je trouve toujours rafraîchissante la couleur verte de votre page où je viens réactiver régulièrement ma photosynthèse
Répondre
L
Pas de pluie...
Répondre
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